Vera Kaplan
Laurent Sagalovitsch

BUCHET CHASTEL
août 2016
144 p.  13 €
ebook avec DRM 9,99 €
 
 
 
 La rédaction l'a lu

Je suis juive et je ne veux pas mourir

Deux chroniqueuses  de  o n  l a  l u  ont énormément aimé le roman de Laurent Sagalovitsch, « Vera Kaplan ». Pour ne pas faire de jalouses (!), nous passons les deux critiques !

Laurent Sagalovitsch signe un roman fort, dérangeant et très maîtrisé, sous la forme du journal intime d’une jeune femme juive allemande pactisant avec le diable nazi. Ce n’est ni un réquisitoire ni une tentative de réhabilitation, mais une histoire qui interroge le sens de la transmission mémorielle, au plus près du mal et de la faillibilité des êtres.

Trois ans après la mort de sa mère à Tel-Aviv en 1995, un homme trouve dans sa boîte aux lettres un paquet contenant un carnet et un cahier d’écolier ayant appartenu à Vera Kaplan, sa défunte grand-mère maternelle. Lui qui ignorait jusqu’à son existence se voit soudainement hériter d’origines familiales que sa mère avait toujours soigneusement tues.

Un marché inhumain

Vera Kaplan, issue de la bourgeoisie berlinoise, avait dix ans lors de l’arrivée d’Hitler au pouvoir. Préservée jusqu’en 1943, sa famille est alors arrêtée, et la Gestapo propose un marché à la jeune femme : sa collaboration contre la protection de ses parents. Vera accepte d’accomplir l’impensable, de dénoncer d’autres Juifs et de les envoyer à la mort. Pendant quelques mois, elle parcourt les rues berlinoises en ruines et traque ceux qui réussissent encore à s’y cacher, en se faisant passer pour une des leurs, survivante et persécutée. Dans son journal, on la voit dire non, s’insurger, avoir des tendances suicidaires, se détester, détester ses bourreaux, détester les autres Juifs, se résigner, tout en s’employant à faire ce qu’on lui demande en échange de sa survie. Il serait trop facile de parler de résistance ou de lâcheté ici, car la pulsion de vie de Vera Kaplan est si puissante et si complexe qu’elle-même en vient à écrire des paradoxes inconcevables : « en refusant d’accepter de devenir une de leurs victimes, je me conduis en être humain ».

Un livre coup de poing

Sans complaisance mais avec humanité, le romancier distingue savoir et jugement, analysant très finement les ressorts qui meuvent ceux qui commettent l’inimaginable, et dont la vie ne connaît pas de rachat.

Au-delà du terrible journal d’une criminelle de guerre, les pages les plus belles sont contenues dans le cahier postérieur à la guerre, celui de la transmission d’une mère cherchant désespérément sa fille qui lui a été enlevée à la naissance, et qui se réapproprie la culture juive et la langue hébraïque en devenant traductrice. Par sa construction en forme d’enquête et de journal, ce roman tout en nuances est servi par une écriture remarquable qui sonne toujours juste. Un livre coup de poing et bouleversant.

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L’histoire d’une anti-héroïne

 

Dérangeant, déroutant, courageux ? Difficile de qualifier ce récit librement inspirée de l’histoire, réelle, de Stella Goldschlag, une jeune femme juive qui dénonça les siens à la Gestapo dans l’espoir, vain, de sauver ses parents.

Pour ce roman, Laurent Sagalovitsch a choisi de ne pas plonger dès les premières pages dans l’enfer de la seconde guerre mondiale tel que l’a vécu Vera, le double romanesque de Stella: « Je n’ai appris l’existence et la mort de ma grand-mère que plusieurs mois après son décès », raconte le petit-fils de Vera, contacté par le notaire de cette dernière. Une mort choisie puisqu’elle a mis fin à ses jours, comme le fit Stella.

Le procès de la « cannibale »

L’auteur donne voix à Vera qui raconte pourquoi ce suicide et se souvient de « cette masse horrible d’hommes et de femmes, surtout de femmes (…) venues assister au grand procès de celle que la presse avait surnommée la Cannibale juive, toute cette foule abjecte, sûre de son bon droit ». Relatant ce procès qui la condamna, Vera se souvient de son passé, du Berlin des années trente et de la vie qui était la sienne auprès de ses parents, avant le nazisme et l’arrivée au pouvoir d’Hitler. L’histoire repose sur un personnage ambivalent qui ne cherche pas à justifier ses actes, elle a payé, été condamnée, ne semble regretter que « la docilité des juifs » lors de ces années tragiques. Enceinte lorsqu’elle est arrêtée par les Soviétiques, son bébé lui est enlevé et envoyé à Tel Aviv pour y être adopté après avoir été placé en orphelinat. De ce bébé (la mère du narrateur), peu d’éléments nous sont parvenus, si ce n’est la manière dont elle fut conçue. C’est l’un des épisodes que Vera partage dans ce journal intime que son petit-fils reçoit d’outre-tombe.

Une anti-héroïne troublante

Lorsque Dobberke, fonctionnaire efficace de la Gestapo, l’enjoint de trahir d’autres juifs pour sauver ses parents de la déportation, Vera met peu de temps à accepter, malgré ses interrogations légitimes (le bien, le mal, le libre-arbitre, vivre ou mourir…). Elle se retrouve associée à Karl pour cette sale besogne. Vera est une anti-héroïne troublante autant qu’agaçante. Elle ne semble pas tant solliciter la compréhension de ses futurs lecteurs que tenter d’expliquer au mieux cet engrenage dans lequel elle s’est retrouvée, toute jeune femme, sans réelle possibilité de fuite ou de choix plus courageux. Une réponse donnée, dans un contexte violent et mortifère: « Née à une autre époque, son existence se serait écoulée dans la banalité d’une vie normale -mais elle est née à Berlin en 1922. Dès le départ, elle n’avait aucune chance pour que son histoire se termine bien». Vera/Stella est de ces personnages qui marquent, fragile, faillible…humain.

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