Dérangeant, déroutant, courageux ? Difficile de qualifier ce récit librement inspirée de l’histoire, réelle, de Stella Goldschlag, une jeune femme juive qui dénonça les siens à la Gestapo dans l’espoir, vain, de sauver ses parents.
Pour ce roman, Laurent Sagalovitsch a choisi de ne pas plonger dès les premières pages dans l’enfer de la seconde guerre mondiale tel que l’a vécu Vera, le double romanesque de Stella: « Je n’ai appris l’existence et la mort de ma grand-mère que plusieurs mois après son décès », raconte le petit-fils de Vera, contacté par le notaire de cette dernière. Une mort choisie puisqu’elle a mis fin à ses jours, comme le fit Stella.
Le procès de la « cannibale »
L’auteur donne voix à Vera qui raconte pourquoi ce suicide et se souvient de « cette masse horrible d’hommes et de femmes, surtout de femmes (…) venues assister au grand procès de celle que la presse avait surnommée la Cannibale juive, toute cette foule abjecte, sûre de son bon droit ». Relatant ce procès qui la condamna, Vera se souvient de son passé, du Berlin des années trente et de la vie qui était la sienne auprès de ses parents, avant le nazisme et l’arrivée au pouvoir d’Hitler. L’histoire repose sur un personnage ambivalent qui ne cherche pas à justifier ses actes, elle a payé, été condamnée, ne semble regretter que « la docilité des juifs » lors de ces années tragiques. Enceinte lorsqu’elle est arrêtée par les Soviétiques, son bébé lui est enlevé et envoyé à Tel Aviv pour y être adopté après avoir été placé en orphelinat. De ce bébé (la mère du narrateur), peu d’éléments nous sont parvenus, si ce n’est la manière dont elle fut conçue. C’est l’un des épisodes que Vera partage dans ce journal intime que son petit-fils reçoit d’outre-tombe.
Une anti-héroïne troublante
Lorsque Dobberke, fonctionnaire efficace de la Gestapo, l’enjoint de trahir d’autres juifs pour sauver ses parents de la déportation, Vera met peu de temps à accepter, malgré ses interrogations légitimes (le bien, le mal, le libre-arbitre, vivre ou mourir…). Elle se retrouve associée à Karl pour cette sale besogne. Vera est une anti-héroïne troublante autant qu’agaçante. Elle ne semble pas tant solliciter la compréhension de ses futurs lecteurs que tenter d’expliquer au mieux cet engrenage dans lequel elle s’est retrouvée, toute jeune femme, sans réelle possibilité de fuite ou de choix plus courageux. Une réponse donnée, dans un contexte violent et mortifère: « Née à une autre époque, son existence se serait écoulée dans la banalité d’une vie normale -mais elle est née à Berlin en 1922. Dès le départ, elle n’avait aucune chance pour que son histoire se termine bien». Vera/Stella est de ces personnages qui marquent, fragile, faillible…humain.