Nous sommes toujours en 50 av. J.-C. La Guerre des Gaules sort à Rome dans une version expurgée de son chapitre concernant d’irréductibles gaulois. Aidée de Bigdhata un scribe numide, Doublepolémix le colporteur sans frontières entend faire jaillir la vérité. Après avoir récupéré le précieux volume original, le seul complet dans l’Empire romain, Doublepolémix se réfugie en Gaule Libre. Ainsi troublés dans leur quiétude coutumière, les villageois réagissent sous la conduite de leur chef Abraracourcix, poussé par sa femme Bonemine. Astérix, Obélix, Idéfix et toute la panoplie des héros imaginés par René Goscinny il y a tout juste 56 ans, sont convoqués pour ce deuxième épisode de l’ère post Goscinny-Uderzo.
Le contexte bibliophile confère à ce numéro 36 une saveur particulière. Jean-Yves Ferri s’est fait plaisir. Il combine la permanence de cette série avec l’air du temps 2.0. Astérix le héros désigné semble en retrait tandis qu’Obélix gagne en profondeur, devant en effet ménager le sanglier et le Romain. Bonemine, la femme du chef, est plus décisive, poursuivant l’élan féministe esquissé dans le tome précédant, lorsque les Gauloises sont présentes au banquet final. Panoramix retrouve son mentor et redevient durant quelques cases le jeune galopin d’antan.
Ferri enfile les braies de Goscinny en imprimant sa marque. Depuis son personnage d’Aimé Lacapelle, sa collaboration avec Manu Larcenet, ou son fameux De Gaulle à la plage, le scénariste ariégeois cultive un ton décalé qui s’accommode très bien avec celui mis en œuvre par Goscinny. Outre les jeux de mots obligatoires pour les inconditionnels, cet humour se manifeste par exemple à la page 35 dans les 3 cases du bas, lorsque le légionnaire envoie son dernier pigeon voyageur sans message, nous rappelant ces méls émis sur le net sans la pièce jointe. En guise de final, la séquence relative à « la procédure d’urgence » synthétise ce nouvel esprit. Conrad, tenu en haute estime depuis Bob Marone, dessine en génial faussaire. Respectant la minutie d’Uderzo, il glisse ici et là quelques demi-pages savoureuses. Dans cette même veine, signalons la réussite de la mise en couleur.
L’Angleterre a James Bond, les USA affectionnent Iron man, la France intemporelle résiste avec Astérix. Astérix fleure bon les ‘sixties’, ces trente glorieuses et sa classe moyenne ascendante, principal client de ce neuvième art alors en devenir. Véritable locomotive à tirage, deux millions d’exemplaires en France, ce nouvel album du Gaulois à moustache réussit le pari de rendre présente l’époque contemporaine en la situant 50 années av. J.-C.