critique de "Est-ce qu'on pourrait parler d'autre chose ?", dernier livre de Roz Chast - onlalu
   
 
 
 
 

Est-ce qu'on pourrait parler d'autre chose ?
Roz Chast

Gallimard Jeunesse
hors serie bd
octobre 2015
236 p.  25 €
ebook avec DRM 17,99 €
 
 
 
 La rédaction l'a lu

Ça sent le sapin

Cette « autre chose » dont on essaye de ne jamais parler et qui donne son titre à ce fabuleux roman graphique, c’est un sujet qui nous concerne tous et nous effraie: la mort. Non pas la mort accidentelle qui fauche sans s’y attendre, mais celle aussi naturelle que banale: la mort de nos proches en fin de vie. Un terminus vers lequel s’achemine tout être humain à l’issue du fameux « naufrage » qu’est la vieillesse et qui reste totalement tabou dans ses étapes. Le comble de l’évitement revenant à Woody Allen : « Ce n’est pas que j’ai peur de mourir, je veux juste ne pas être là quand ça arrivera».

Alors, pourquoi chroniquer un tel livre au moment si joyeux des fêtes de fin d’année? Parce que Noël est une incontournable réunion familiale où jeunes et moins jeunes sont ensemble. C’est donc la meilleure occasion pour offrir cet album graphique sur le sens de la famille poussé à son paroxysme. Et puis aussi parce que cet ouvrage est pensé et dessiné avec autant d’intelligence que de mordant par l’une des plus brillantes illustratrices du « New Yorker » : Roz Chast. À coups de crayon enlevés, de traits d’humour noir acérés et d’amour débordant pour les siens, c’est sans concessions et sans faux-semblants qu’elle nous offre un incroyable témoignage dont la portée est hautement universelle. Bref, voilà un livre essentiel à mettre sous le sapin, même si ça sent le sapin.

Roz est la fille unique de George et Elizabeth qui vivent depuis 50 ans dans le même appartement déprimant, d’un quartier déprimant de Brooklyn. Mais c’est leur bonheur à eux et depuis toujours ils ont érigé comme principe majeur de ne jamais parler de la mort comme pour tenir celle-ci à distance. La grande vieillesse aidant, Roz se voit contrainte, pour venir en aide à ses parents, de s’immiscer dans leur vie. Cette intrusion semble les perturber davantage que la perspective d’une mort prochaine. C’est doté d’un humour décapant et d’un regard au laser que Roz Chast ne va rien nous épargner des abîmes dans lesquels ce trio familial va être plongé jusqu’à ce que mort s’ensuive. Aucune étape ne sera éludée. Entre démence sénile, mise sous tutelle, maison de retraite, service gériatrique, col du fémur fracturé, soins palliatifs, services funéraires et j’en passe, Roz s’assume en toute mauvaise foi, tantôt en fille modèle et le plus souvent en mauvaise fille, totalement dépassée par les évènements.

Ce livre est à « mourir de rire » dans son sens littéral. Les âmes mêmes les plus sensibles ne doivent surtout pas s’abstenir de le lire, tant sa lecture fait du bien par son effet cathartique. C’est un album qui aide à avoir moins peur. Vous verserez aussi de chaudes larmes, pour de vrai, quand sur la fin de l’album devant le corps de sa mère décédée, Roz la dessine sur son lit comme un ultime hommage. Elle croque la mort sur le vif. Et donne un tout autre sens à croque-mort. Le sens de la vie, tout simplement. Et dans un grand éclat de rire.

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