Mao Tsé-Toung collectionnait les maîtresses. Soldates ou artistes, le dictateur adultère les aimait jeunes et fraîches. Ce secret d’Etat aujourd’hui éventé a inspiré à l’écrivain sino-américain Qiu Xiaolong le sixième de ses onze romans, « La danseuse de Mao » (2008). Il y évoque la face criminelle de ce grand tabou maoïste : au nom du silence et pour sauver les apparences, ce régime moraliste et puritain n’a pas hésité à éliminer les proies du Grand Timonier et les témoins de ses infidélités.
Les pontes du parti jettent ainsi en pâture à l’inspecteur Chen le destin de la belle actrice Shang Yunguan, défenestrée en pleine Révolution culturelle. Que cachent sa mort et celle de sa fille, écrasée par un autobus ? Et que cache sa petite-fille, au train de vie de riche héritière ? On compte sur l’enquêteur intègre et franc-tireur pour déminer le scandale sans avoir à mouiller de services officiels. Il va s’y prendre à sa manière, discrète et détournée, dans ce système où justice et loi sont parfois incompatible.
Cette histoire tragique, avec ses intrigues de palais et ses flashbacks historiques, était idéale pour devenir un roman graphique. Le scénariste Olivier Richard l’a redécoupée et épurée, le dessinateur tchèque Hza Bazant l’a mise en images. Son trait brut et dynamique, dans un noir et blanc relevé de taches de couleur, donne des visages à l’oppression et à la duplicité, dans une atmosphère de violence et de paranoïa.
Qiu Xialong a validé cet ouvrage qui respecte sa vision de la Chine mais aussi la personnalité de son flic-poète et la double nature de Shanghai, ville de pouvoir restée ouverte sur l’extérieur. Un opus qui s’inscrit dans une longue tradition française de mariages réussis entre la littérature noire et le graphisme.