Au milieu des années 60, le créateur de Tintin savoure un petit French (? de gin et ? de Noilly dry) à la galerie d’art « Carrefour », tenue par son ami Marcel Stal. Désormais, les aventures du jeune reporter à la houppette lui permettent de vivre dans le confort. Le 21e épisode intitulé Les bijoux de la Castafiore est sorti deux ans auparavant. Hergé déroule. Installés non loin de la galerie d’art, rue Louise, ses studios emploient une petite équipe à la réalisation des albums de Tintin. Le maître dispose de son temps libre. Suivant un rituel devenu quotidien, il déguste son petit French au « Carrefour » et discute d’art contemporain avec Stal et quelques collectionneurs. Là, Georges Remi reprend le dessus sur Hergé et chacun oublie Tintin. Parmi les invités, Pierre Sterckx, professeur d’esthétique à Saint-Luc, l’école supérieure des arts à Bruxelles, l’intrigue. Curieux de nouveautés, Hergé lui propose un rendez-vous hebdomadaire à son domicile particulier afin de parfaire ses connaissances picturales. D’échanges formels autour de l’art, leur rencontre débouche sur une forme de synergie intellectuelle dans laquelle le jeune Sterckx sert de guide culturel au classique Hergé, lui faisant découvrir Claude Lévi-Strauss, lire Roland Barthes ou écouter Keith Jarrett.Outre ses illustrations, l’ouvrage comprend deux parties. Pierre Sterckx (1936-2015) revient en détail sur la longue amitié entretenue avec Hergé avant de présenter une biographie succincte riche en photographies. Il résume chacun des 24 épisodes bâtissant les aventures de Tintin, donnant son avis, y compris sur les « ratés », (cf. Les Picaros). Sa galerie de personnages, pour juste qu’elle soit, est déjà vue. Enfin, il esquisse une définition de la fameuse Ligne Claire, style inventé par Hergé et repris depuis. Une seconde partie plus personnelle renvoie aux échanges opérés entre Sterckx et Hergé sur la peinture contemporaine ou la musique.
Le nombre et la qualité des illustrations présentées (couleur ou noir et blanc) font de ce beau livre une véritable mine d’or pour le tintinophile comme pour le néophyte. Affiches publicitaires, étude de logotype, d’une surprenante modernité, nous rappelle qu’Hergé ne se destinait pas à la bande dessinée au début des années 30. De magnifiques bleus de coloriage (les épreuves imprimées utilisées par les Studios Hergé pour le coloriage des planches à la gouache ou à l’aquarelle), des cases augmentées au format de double pleine page résistent à l’agrandissement voire se transforment en tableau. La page crayonnée faisant face à la version bleu de coloriage souligne la minutie apportée au dessin d’une étape à l’autre. Sortir ces planches de leur contexte et montrer le travail de finition explique en partie la réussite de l’œuvre. Une lecture à partager sans modération avec des amis autour d’un petit French.