L’été 36 s’achève. Mattéo Cortez, fils d’immigrés espagnols venu travailler à Collioure, après avoir fui par idéologie pacifiste et anarchiste, repart pour une quatrième aventure.
Jean-Pierre Gibrat propose une bande dessinée de facture classique, dont Mattéo est le héros et le narrateur. Il traverse le début du xxe siècle l’amour aux trousses. Une espèce de Corto Maltese fidèle, attiré par une Juliette qui lui fait comprendre qu’il doit partir à la guerre, prouver sa bravoure (T.1). Épisode à l’issue duquel il déserte, ce qui l’amène à participer à la Révolution d’Octobre en Russie (T. 2). Le tome 3 célèbre l’été 36 et les congés payés. Mattéo retrouve enfin sa dulcinée, dont il apprend qu’il a un fils. Dans ce tome 4, il reprend du service avec la guerre d’Espagne.
Tout au long des quatre épisodes, l’ombre du père disparu plane, tandis que la maison de famille sert autant de quartier général que de refuge. La mère Cortez, revêche pour la forme, ancre l’anarchisme paternel dans le quotidien domestique : « Si ton père… ». Paulin, l’ami d’enfance, personnage secondaire, engagé de la première heure, aveuglé à Ypres, rappelle la chance du héros et marque l’engagement croissant vers la gauche populaire. Surtout, il y a Juliette, fille de domestiques dans le château du coin, dont l’héritier Guillaume s’amourache. Juliette doute et pousse Mattéo dans les tranchées (T.1). Devenue veuve (T.3), elle épouse les conditions de vie de la mère célibataire. Leur romance équilibre le récit avec les séquences sur les barricades russes ou devant le mécontentement bourgeois provoqué par les congés payés.
Depuis le « Sursis » (1997), Gibrat est un auteur complet. Il compose ses romans dessinés avec une narration faisant référence à la littérature naturaliste (les scènes de vie en province : ici Collioure, la plage, la frontière espagnole) et un dessin ultra réaliste, quasi photographique, riche en détails. Il rythme chaque album par un découpage dynamique, pour les scènes d’action, avec des planches statiques, lorsque Mattéo monologue sur l’inconstance féminine.
Au cœur des phases sombres de la grande histoire, Gibrat fonctionne à l’optimisme et après le chaos vient la renaissance.