Les premières pages laissent clairement le lecteur pantois : mais où donc Joann Sfar veut-il nous emmener ? La première démarche consiste donc à accepter l’idée que le cheminement créatif que nous montre Joann Sfar est identique à celui de lecture et que c’est avec le héros de son histoire que lecteur doit l’emprunter. A côté du processus créatif qui prend une place primordiale dans cette bande-dessinée (à travers l’histoire du personnage masculin qui doit proposer une exposition à un grand musée parisien), Joann Sfar rend ses personnages intrinsèquement amoureux comme s’ils en représentaient les différentes facettes. De façon totalement corrélée, la notion de manque y est donc omniprésente. La présence de ces deux notions (création et amour) particulièrement entremêlées démontre à quel point, pour l’auteur, la création est un acte d’amour : passion de la création, affres des doutes, jalousie, offrande aux lecteurs des résultats du processus créatif, abandon de sa propre œuvre, peur du vide engendré par la perte de son œuvre… C’est ce qui rend la bande-dessinée passionnante, passé le petit moment de flottement provoqué par les premières pages. Un petit mot sur la structure de la BD en elle-même : elle peut se lire de deux manières, en fait. Soit comme une succession de strips ou de pages constituant chacun et chacune une entité autonome en soit. Soit comme une histoire complète avec un début et une fin… La vérité est un peu entre les deux : chaque strip ou page représente un morceau de l’histoire qui n’est pas forcément chronologiquement immédiatement juxtaposé au précédent ou au suivant mais un instantané tirée d’une histoire dont les vides et les silences seraient aussi importants que ce Joann Sfar dépeint. Une œuvre hybride, forte et sensible par un auteur passionnant comme d’habitude.