Victor Lebrun a 18 ans lorsqu’il rencontre celui qui le fascine depuis l’enfance. Ce fils d’ingénieur, né et élevé en Russie, a été bercé par « Quatre livres de lecture » du comte Tolstoï. Mais ce n’est qu’à la disparition de son père en 1899 et après la lecture décisive de « Les derniers chapitres de la vie » que le jeune Victor sollicite de son héros un entretien. Débute une amitié de dix ans qui ne s’éteindra qu’avec la mort de l’écrivain dans la gare d’Astapovo en 1910. Dix années pendant lesquelles Victor aura été le secrétaire personnel du grand homme et un témoin privilégié de son quotidien.
Depuis la révélation d’Arzamas en août 1869, Léon Tolstoï, convaincu de l’absurdité de la vie, pratique un christianisme pur. Il prône le travail de la terre, un détachement des biens matériels et s’engage dans un chemin spirituel rigoureux. Ce perfectionnement moral, Victor Lebrun s’efforcera de l’observer jusqu’à sa propre disparition en 1978 et lorsque qu’il confie à Jacques Ibanès les souvenirs et lettres inédites de Tolstoï force est de constater qu’il vit toujours selon les préceptes de son maitre.
Il aura fallu plus de 30 ans pour que paraisse en France ce document unique sur l’auteur de « Guerre et Paix », plus précisément sur la figure morale qu’il fut. Témoignage d’autant plus important qu’il relate certes les relations au sein du cercle des Tolstoï comme les disputes homériques qui opposaient Sophie à son époux, mais offre un tableau de la Russie tsariste : les paysans, l’aristocratie terrienne et la place de la censure. Une grande partie des ouvrages de l’écrivain étant proscrits, ses amis s’ingéniaient à trouver le moyen de leur faire franchir les frontières afin qu’ils soient publiés à l’étranger.
Victor Lebrun livre un récit brut sans fioriture ni effet de style, reflet de l’affection indéfectible qui le lia à l’homme de lettres.