Caricaturistes : Fantassins de la démocratie
Cartooning for Peace - Ouvrage collectif

Préface de Plantu
Actes Sud Editions
essais
mai 2014
416 p.  22,90 €
ebook avec DRM 16,99 €
 
 
 
 La rédaction l'a lu

Sacrés coups de crayon

« Sans humour, sans satire, n’importe quelle société devient inhumaine (…/…) Je montre le précipice pour que les gens s’en éloignent et n’y tombent pas ». Ces propos sont ceux de Zlatkovsky, l’un des plus grands dessinateurs de presse actuels. Interdit de caricature politique dans la Russie de Poutine, à 75 ans, il gagne sa vie comme chauffeur de taxi. Son témoignage bouleversant ainsi que ses dessins sombres et percutants, nous les retrouvons dans le très bel ouvrage collectif : « Caricaturistes, fantassins de la démocratie » . C’est à l’initiative de l’association créée par Plantu « Cartooning for Peace », dont la mission est de défendre la liberté d’expression des dessinateurs de presse du monde entier, que ce livre a vu le jour. Un documentaire sous le même titre a été réalisé en parallèle par Radu Mihaileanu, il est sorti sur les écrans simultanément à la parution du livre en mai 2014.

Douze dessinateurs de presse parmi les plus géniaux du monde y partagent, en mots et en dessins, ce que représentent leur engagement et leurs responsabilités. Ils se livrent sur leurs parcours de combattant pour exercer ce métier si singulier dont on vient de découvrir hélas, cruellement le 7 janvier dernier, que même au pays des droits de l’homme, il est à très haut risque. Et que ce risque peut être la mort, comme pour les douze victimes de la tuerie de Charlie Hebdo.

Le premier témoignage du livre est celui de Plantu. Il s’interroge sur le rôle, la nécessité d’un dessin et cite un passage d’ « Utile » de Julien Clerc « À quoi sert une chanson/Si elle est désarmée ?/Me disaient des Chiliens/ Bras ouverts, poings serrés/ ». La réponse du célèbre caricaturiste du « Monde » est qu’un dessin de presse sert avant tout à résister et lutter, contre toutes les formes d’intolérance et de violence. Il y a selon lui, des dessins de résistance comme des chansons de résistance, des créations artistiques de résistance. Pour compléter son propos nous citerons la suite des paroles d’ Étienne Roda-Gil tant elles raisonnent implacablement après la tragédie de janvier dernier : « Comme une langue ancienne qu’on voudrait massacrer/Je veux être utile à vivre et à rêver ».

Ce qu’il y a de commun à ces douze dessinateurs de « Cartooning for peace », c’est leur volonté d’acier, de vivre libre, de rire et d’offrir leur humour pour lutter contre la barbarie. Avec un simple crayon comme arme contre le monstre hideux, ils parviennent à exprimer une forme de désespoir lumineux . « J’admire les dessinateurs pour leur naïveté. Certains sont à deux doigts de se faire tuer, mais ils continuent, sans sembler avoir peur. Cette insouciance me touche. Le danger est proche, mais ils avancent. Ils sont de la chair à canon ». Comment ne pas trembler en lisant ces mots de l’introduction de Radu Mihaileanu publiés huit mois avant les évènements en France.

Bien que tous ces dessinateurs déclarent vouloir s’exprimer là où on ne les attend pas et se refuser à « caresser dans le sens du poil », certains ont une approche critique de leur pratique. Ce que résume parfaitement Plantu : « Les dessinateurs doivent continuer à pouvoir être impertinents et dérangeants sans humilier inutilement (…/…) Je ne dessine pas contre les croyants, mais contre l’intolérance ». Un raisonnement juste, mais qui pour beaucoup reste hélas trop subtil. Il y a un lourd travail pédagogique à faire. Rayma, la Vénézuélienne nous propose une jolie définition de son métier, qu’elle considère comme une « philosophie graphique » qui doit remettre sans arrêt le monde en question.

Autant de réflexions qui ouvrent un débat auquel il est impossible aujourd’hui d’échapper. Plus qu’un beau livre, voilà un ouvrage nécessaire et utile, qu’il faut avoir dans sa bibliothèque. Comme un pavé dans la mare, sans pour autant jouer les cassandres, c’est l’ouvrage qui a lancé l’alerte avant la tragédie. Nous ne pouvons que souhaiter le tome 2 de « Cartooning for peace ». Celui de l’après 7 janvier 2015. Comment pourrait-il en être autrement ?

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