La biographie de chanteur est à la littérature ce que les spaghettis carbonara sont à la grande cuisine. Aussi, face à cet assez épais volume de Ring, pour sujet Bowie, on ne put dans un premier temps que se pincer le nez ou adopter une moue dubitative. Sauf que en guise de biographie il s’agit ici d’une sorte d’ordonnancement de dizaines d’entretiens, multiples voix venus nous narrer l’histoire chronologique de ce monstre anglais aux yeux inimitables qu’était David Bowie. Sur le modèle de l’indépassable « Please Kill Me l’histoire du punk raconté par eux mêmes » paru chez Allia il y a quelques années de cela.
David Bowie, A life, c’est effectivement la vie de Bowie raconté par ceux qui l’ont côtoyé, fussent ils journalistes, producteurs, musiciens, admirateurs, et même Bowie lui même qui vient, de ci de là, confirmer ou infirmer certains dires. Pas un livre de fan, donc, pas seulement. Un récit foutraque, bariolé et parfois bancal de la vie inouïe d’un des plus grands. Un des plus grands quoi? Un des plus grands tout court.
Alors bien sûr, les ragots mentionnés ici ou là sur la taille du sexe du grand David, ses coucheries multiples, ses infidélités répétées ou supposées, en amitié comme en amour, ternissent un peu la vue d’ensemble de ce pavé épistolaire (interviewvaire?), et les trop nombreuses coquilles n’arrangent pas la chose, même si elles en disent plus sur la qualité des éditeurs de Ring (spécialisé dans la publication de grand n’importe quoi sulfuro-complotiste) que sur la qualité de l’ouvrage lui même.
En dépit de ces réserves, cela fonctionne, et l’on dévore ces incroyables pages, ces récits à plusieurs voix, à plusieurs chants, qui dressent le portrait finalement assez précis sans doute d’un artiste hors norme, peut-être plus important, plus capital à lui tout seul que tous les Beatles ou les Stones réuni, peut-être plus essentiel que Led Zep ou les Who. Et si ce gros livre, dans lequel il manque peut-être quelques photos, est aussi impressionnant et indispensable c’est pour rappeler ou apprendre à beaucoup que Bowie était inclassable et aujourd’hui tout sauf passé, sauf démodé. A quel point son oeuvre que beaucoup auront abordé avec Let’s Dance, est riche, complexe, intelligente et, à quelques fausses notes près, inusable.
Mais oui il manque des photos, des images, non parce que c’est beau (il n’y a rien de plus moche que ces cahiers illustrés au centre des biographies) mais parce que visuellement Bowie était aussi un maître, celui qui a produit le plus de pochettes cultes de l’histoire, même s’il n’en a réalisé aucune, il les a toutes inspirées, et elles sont partie prenante de son oeuvre complète.
Bowie, A life, est le livre qu’il vous faut si vous ne connaissez que mal Bowie. Celui qu’il faut si vous ne le connaissez qu’un peu. Et il n’est pas celui qui plaira le plus aux fans, mais un fan n’a aucun recul, aucun esprit critique, il ne peut donc juger ou savoir ce qui compte, ce qui ne compte pas.
Bowie A life est un voyage, une odyssée. Direction planète Ziggy. A life, oui, une vie, qui semble s’être déroulée sur Terre, entre 1947 et 2016, mais qui s’est peut-être, en fin de compte, passée sur Mars, la vie d’un martien inconfinable.