Roberto Saviano est d’abord connu pour son premier livre « Gomorra », déjà sous-titré (en italien) « voyage dans l’empire économique et dans le rêve de domination de la Camorra », paru en 2006 et depuis lequel il vit sous protection policière 24 heures sur 24. Il étend ici son spectre d’étude et d’analyse pour embrasser un thème plus « international » à savoir le trafic de cocaïne. Le livre peut être scindé en 3-4 grandes parties : l’Amérique du Sud (Colombie, Mexique exclusivement), l’Italie et l’Europe de l’Est, l’Afrique, les routes de la cocaïne… Il faut rendre à Roberto Saviano ce qui lui appartient : un indéniable talent pour faire d’une réalité glauque, féroce, implacable, exemples et anecdotes à l’appui, presque une œuvre de fiction. Mais la réalité des événements et agissements qu’il rapporte revient systématique au visage du lecteur qui prend claque sur claque pour le ramener sur terre et observer avec effroi une économie pas si parallèle que cela dont il ne touche habituellement du doigt qu’une lointaine ébauche. Par des analogies particulièrement choisies, par des chiffres parlants, des comparaisons édifiantes, Roberto Saviano raconte sa vie de fuite autant que celle des trafiquants qu’il traque. Ne serait-ce que par exemple la comparaison de la rentabilité d’un investissement de 1.000 euros en 2012 : pour 1.000 euros investis en actions Apple (le meilleur rendement boursier en 2012), l’investisseur récupère 1.600 euros à la sortie quand dans le même temps 1.000 euros investis dans le trafic de cocaïne assure un retour de l’ordre de 180.000 euros ! Au-delà des descriptions de tortures infligées aux infiltrés, aux traîtres, au-delà de l’absence d’humanité ou de compassion chez les trafiquants, ce qui donne le plus le tournis, à la lecture du livre de Roberto Saviano, c’est ce sentiment d’inutilité des actions entreprises contre les narcotrafiquants : scier une branche ne sert strictement à rien et ce quel que soit la taille de la branche. La nature et le trafic de cocaïne ont horreur du vide : il y a toujours une nouvelle branche pour prendre la place laissée libre par l’arrestation d’un chef de clan ou de cartel ou une branche existante pour grossir et occuper la place laissée vacante. Ce tourbillon sans fin de noms qui se succèdent et s’entremêlent à la tête des différentes filières du narcotrafic donnent le tournis et peuvent perdre le lecteur qui se noie dans cet océan d’informations, cette nébuleuse de personnages, dates, événements… C’est un peu la faiblesse et la longueur de ce récit par ailleurs source inépuisable d’informations. On sature doublement, bringuebalé entre la pléthore de personnes impliquées et la nausée provoquée par une situation dont on ne perçoit aucune évolution positive.