Ce professeur italien d’histoire de l’art est réquisitionné pour accompagner le volet privé de la visite d’Hitler à Mussolini et conduire les deux dictateurs dans les musées romains et florentins. Impuissant et indigné, il consigne ses impressions dans son carnet, dont ce livre est l’extrait. Le portrait qui se dégage de ces deux hommes est assez attendu: l’indifférence grimaçante de l’un le dispute aux interprétations préconçues délirantes de l’autre, dans une description habile et sobre, qui ne s’embarrasse pas de long discours. Mais l’intérêt véritable du texte est ailleurs. Bandinelli s’aperçoit bien vite du pouvoir -relatif- que son savoir lui procure sur les deux hommes. Il n’hésite pas alors, pâle revanche, à se jouer d’eux en trichant avec la vérité et l’exactitude, pour mesurer son emprise sur eux et le caractère influençable et parfois puéril de leur personnalité. « […] Comme nous passions sur le pont Alle Grazie, Mussolini s’enquit de la profondeur de l’Arno. Un mètre soixante-quinze, répondis-je; mais le chiffre sembla maigre et je le justifiai en affirmant que son niveau était bas en ce moment. En période haute, il atteint quatre ou cinq mètres. Ce qu’on trouva adapté à la grandeur historique de cette rivière. » Mais de son vrai pouvoir sur les deux dictateurs, Bandinelli n’usera pas. Il ne communiquera pas aux militants antifascistes, qui fomentent un attentat, le parcours tenu secret que devra suivre le véhicule des deux hommes. Il doit lui-même prendre place dans la voiture. Et il n’est pas un héros. « Nous sommes tous coupables de cet état des choses, auquel nous n’avons pas consenti, mais qui nous a trouvés inertes, passifs, accommodants, par tranquillité personnelle et par égoïsme de classe. »