Biographies non autorisées, autobiographies, chroniques de tournées, albums photo… les Rolling Stones restent, aussi, un phénomène d’édition. 50 ans de carrière, 9 albums originaux et 2000 concerts à décortiquer, sans négliger leurs amours et leurs frasques : la matière est riche. Pour l’attaquer, le chroniqueur américain Bill Janovitz a trouvé un angle inédit, apportant à cet édifice souvent hagiographique une pierre ciselée avec autant de distance critique que de passion. Dans les 400 pages de « Rocks off », il retrace l’histoire du groupe au travers de 50 chansons, choisies comme autant d’étapes significatives dans le parcours du « plus grand groupe de rock du monde ».
De « Tell me » (1964) à « Plundered my soul » (écrit en 1971, sorti en 2010), il raconte en journaliste ces 50 tubes (ou presque) qu’il a écoutés en musicien, lui qui a chanté et tenu la guitare au sein d’un petit groupe de Boston, les Buffalo Tom. Il a aussi digéré une masse de livres, d’interviews et de documentaires pour reconstituer le contexte dans lequel les a écrites et composées le duo Jagger-Richards, alias les « Glimmer Twins ». Ne négligeant rien de ce qui a pu influer sur le style, la couleur, la complexité des morceaux : les modes du moment, l’environnement social, bien sûr, mais aussi les relations au sein du groupe, les rencontres, les femmes et les drogues…
Bill Janovitz est allé jusqu’à traquer les petits ratés, batteur à contretemps ou bassiste en retard, ces « pains » que les Stones préféraient conserver sur leurs albums plutôt que perdre une bonne prise « live », eux qui n’ont jamais goûté les bidouillages numériques en studio. Il prend plaisir aussi à détailler les trouvailles pas toujours orthodoxes qui ont contribué à la sonorité unique du groupe. Cette façon particulière d’accorder les guitares pour Keith Richards, ce style resté marqué par le jazz pour Charlie Watts, mais aussi ces amplis poussés jusqu’à la surchauffe et ces magnétophones amateurs pour sonner comme les pionniers du blues et de la soul.
« Rocks off » lui-même n’est pas sans petites faiblesses, parfois trop jargonnant ou versant dans le people. De menus écarts vite pardonnés, tant l’auteur met de coeur à l’ouvrage et tant son prisme est éclairant. Ces 50 morceaux sont issus d’autant de processus créatifs différents, du plus limpide au plus chaotique, certains conçus à deux et enregistrés dans la foulée, d’autres écrits en kit et mis en boîte par épisodes. Le livre remet à leur juste place la légende que certains ont nourrie, de « Satisfaction » que Keith aurait écrit en dormant (en fait, il s’est réveillé puis rendormi) ou « Angie » que Mick Jagger aurait dédié à l’épouse convoitée de David Bowie (en fait écrit par Keith pour sa fille Angela). Bill Janovitz rétablit quelques vérités mais avec une telle passion qu’aucune ne nuit au mythe.