La rédaction l'a lu
Plus vrai qu’un thriller…C’est écrit comme une fiction, ça en possède le rythme, le casting et la saveur jusque dans les rebondissements, les seconds rôles et les ruptures de ton. Ça se dévore comme un polar tourne-page, en essayant de ne pas rater ce détail qui va nous rattraper quelques pages plus loin. S’il a les attraits du pur thriller, « Une affaire atomique » n’en est pourtant pas un. Ce qui le rend plus fascinant encore. Ce pavé explosif de 450 pages, étiqueté « narrative non-fiction », est le récit d’une colossale escroquerie. Nourri de vécu, d’anecdotes, de scènes dramatiques ou drôlatiques, il développe en l’approfondissant, la trame d’un autre livre que son auteur, Vincent Crouzet, avait sorti trois ans avant. Si c’était à refaire… Dans « Radioactif », pur roman à clef, on découvrait, captivé, un géant français de l’industrie nucléaire qui cassait sa tirelire – et donc celle des contribuables – pour s’offrir trois mines d’uranium africaines qui ne valaient rien. Une arnaque où l’acheteur comme le vendeur trouvaient leur compte, via une cohorte d’experts, de financiers, de banquiers et de politiques… Certains plus complices que d’autres, donc mieux récompensés. Sorti en mars 2014, ce livre avait intrigué des journalistes, des policiers et des magistrats, suscité des articles, des auditions et des enquêtes. Il avait aussi beaucoup dérangé, au point que le messager du malheur avait subi de fortes pressions. Quelques mois plus tard, il s’en était ouvert à onlalu, s’avouant « désabusé », « embarrassé », « pas à sa place »… « Si c’était à refaire ? Je ne le referais pas. » Ecrire le roman vrai de l’affaire Areva Un coup de blues vite retombé. Déjà, l’actualité était revenue le titiller. La justice ouvrait un nouveau chapitre en mordant les mollets des vrais protagonistes… Alors, écrire une nouvelle fiction sur le sujet, certainement pas. Mais pourquoi ne pas raconter le « roman vrai » de l’affaire Areva-Uramin, ses véritables dessous, sans fards ni pseudonymes ? Vincent Crouzet a replongé. Prenant cette fois le risque de nommer tout le monde (ou presque) et surtout, de tomber son propre masque. Ecrivain, scénariste, il l’est, certes, et plutôt talentueux. Mais cette arnaque du siècle ne lui était pas parvenue de seconde main : il en avait été un témoin privilégié. C’est lui , le premier, qu’un intermédiaire avait approché fin 2009, pour s’ouvrir de la combine à 2 milliards. Proche d’un service de renseignement français qu’il ne nomme jamais – on parie pour la DGSE – l’auteur avait cru souffler un peu après ses années à dorloter des baroudeurs africains ou des diamantaires anversois. La confession de Saif Durbar, bien nommé le Radjah, en avait décidé autrement. Cet ex-conseiller de tyrans africains, as des acrobaties financières, avait un plein coffre-fort de documents bancaires et, pire encore, la mémoire des noms, des dates, des chiffres. Dans le même cloaque baignaient, selon lui, des boursicoteurs canadiens aussi cyniques que discrets, des présidents africains assis sur des sous-sols gorgés de minerais, mais aussi la patronne d’Areva Anne Lauvergon, soutenue par Patrick Balkany et Nicolas Sarkozy… Une bombe littéraire Qu’un quart de tout cela soit vrai et un scandale d’Etat majeur couvait. L’écrivain-consultant a fait son rapport à ses contacts parisiens. Qui l’ont aussitôt bombardé « nounou » du Radjah. S’est alors ouvert devant lui un océan d’emmerdements et de stress, qu’il retrace aujourd’hui dans « Une affaire atomique ». Si la version romancée avait pu en laisser quelques-uns sceptiques ou sur leur faim, ce récit solidement étayé, mais pas moins dynamique, en gomme les imperfections ou les manques. La bombe de révélations se double d’un exercice littéraire inédit, où la réalité toise la fiction. Vincent Crouzet s’impose un exercice de précision, allant jusqu’à revisiter certaines scènes, confesser des ratés ou des gaffes. Là où le roman n’était que troublant, la « non-fiction » se révèle franchement perturbante. Elle livre une photo hyperréaliste d’une caste de pillards arrogants, se jouant des conflits d’intérêts, se gavant de délits d’initiés, de pots-de-vin et de rétrocommissions. Il faut que l’auteur ait de l’estomac pour brasser ainsi leurs vices et oser les étaler au grand jour. Il est vrai que, si ses précédents romans d’espionnage comportent la même part de vérité que « Radioactif », il en faut beaucoup pour le faire reculer. |
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