Éminent théoricien de la littérature dont les textes sont décortiqués par tous les khâgneux, Gérard Genette nous offre avec « Épilogue » un dernier volume qui vient clore ce qu’il appelle son « triptyque bardadraque ». Puisque « Tout a une fin même les suites », ce recueil intervient dans la série comme un post-scriptum de 200 pages aux trois précédents ouvrages. Surtout, ne soyez pas effrayés par cette entrée en matière, « Epilogue » peut se lire séparément des premiers. Il vous donnera juste furieusement envie de les découvrir . En ce printemps, ne passez pas à côté de l’un des essais littéraires les plus amusants du moment. Plonger dans « Epilogue », c’est faire à notre esprit le plus grand bien, c’est comme le plonger dans une solution rafraîchissante. Avec ces fragments comme des messages personnels qui ont valeur d’universel, notre intelligence s’élève, nous nous sentons psychiquement moins étriqués, comme ré-oxygénés.
Alors kézako ? Qu’est-ce donc que cette énigmatique « suite bardadraque»? En 2000, le chercheur littéraire Genette quittait sa casquette habituelle pour ouvrir à la surprise générale, un cycle de recueils tendres et ludiques, organisés en abécédaires (Bardadrac, Codicille, Apostille) qui offraient « à saut et gambades » selon l’expression de Montaigne, une série d’irrésistibles réflexions, d’évocations dispersées, de digressions toutes en fantaisie. Pour donner une fin à cette suite, c’est à travers un procédé de « ricochets par commentaires réflexifs» (qui n’est pas sans rappeler la comptine de chanson en laisse « Marabout, bout de ficelle, selle de cheval…») que Gérard Genette nous livre un nouvel ouvrage autour des grands thèmes qui lui sont chers : la vie, le temps, les autres, les siens et la littérature bien sûr. Genette malgré soixante années de sérieuse érudition est toujours un grand enfant. Il est resté joueur et se met à notre portée. Il donne au lecteur lambda la chance d’être de la partie et de s’amuser à ses côtés de toutes ses « trouvailles mémorielles ». Il le fait comme les « touts petits » qui créent des « mots d’enfants » à travers ses « mots-chimères » comme il les appelle (vérifiction, rétrocrastination, alphabêtisier, après-dernier) et avec lesquels il s’amuse comme à la marelle pour nous mener jusqu’au ciel de ses pensées et se dévoiler.
C’est à la fin d’ »Épilogue » qu’il nous livre quelques clés sur les nourritures de son esprit si vif et inventif. Il rend un bel hommage à son carré d’as : « Montaigne, Chateaubriand, Stendhal et Proust » et aux « pilotis de son être » pour reprendre Stendhal : son père, personnalité pince-sans-rire, qui maniait l’art des apophtegmes (plus joli que maximes ou sentences) avec humour et ironie et sa douce maman chérie, grande lectrice de poésies et de romans psychologiques.
Il se demande ce qu’une supposée lectrice (Tiens, et pourquoi pas lecteur?) peut éprouver à la lecture de ses suites. Et bien Monsieur Genette ce qu’elle ressent tient en un seul mot : plaisir. Et sachez que si parfois comme vous le dites, écrire c’est aussi « pour d’autres que l’on visait sans toujours les atteindre », je vous répondrais qu’avec votre Quatuor, votre humble lectrice est « touchée mais pas coulée », car elle est par votre prose et votre esprit magnifiquement « élevée ». Unique déception, c’est que ce plaisir-bardadraque s’arrête. Souhaitons de tous nos voeux qu’ »Epilogue » soit le « début de la fin » pour que votre jolie suite devienne un polyptyque.