JESUS SELON MAHOMET Gérard Mordillat Jérôme Prieur Seuil/Arte Editions Pour ceux qui, comme moi, sont télé-résistants, le livre de Mordillat et Prieur permet de se faire une bonne idée de la série qu’ils ont consacrée, sur Arte, à Jésus et l’Islam. La question qu’ils abordent peut sembler un peu latérale et ne passionner que quelques érudits : comment se fait-il que, Jésus, pour les chrétiens fils du Dieu vivant, se retrouve dans l’Islam comme « Jésus, fils de Marie, envoyée d’Allah » ? comment se fait-il que, dans le Coran, Jésus soit plus souvent nommé que Mahomet lui-même ? Elle est pourtant l’occasion d’une exploration tout à fait passionnante de ce Proche-Orient des premiers siècles de notre ère où différentes religions, différentes sectes religieuses cohabitent et s’influencent mutuellement avant de se combattre. Nous pouvons suivre la formation de l’islam à partir de ce contexte où judaïsme, judéo-christianisme, christianisme cherchent à marquer leur territoire et où, à l’intérieur même du christianisme, plusieurs tendances s’affrontent (nestorianisme : séparation nette entre le côté humain du Christ et le côté divin. Arianisme : subordination du Fils par rapport au Père. Monophusites, qui ne reconnaissent qu’une nature au Christ) Le Jésus de l’Islam est assez différent de celui l’Évangile mais se fait l’écho de ces controverses; il emprunte nombre de ses traits aux Évangiles apocryphes qui n’ont pas été retenus par l’Église en raison du caractère merveilleux qui colore leurs récits -; il n’est pas fils de Dieu, mais fils de Marie ; il n’est pas mort sur la croix, un autre est mort à sa place, sa mort n’est qu’une apparence à laquelle ses disciples se sont laissés prendre. Mais il n’ y a pas que des emprunts au christianisme, il y en a également au judaïsme et surtout au judéo-christianisme (les nazaréens). Le résultat est un texte déroutant, le Coran (le mot lui-même n’est pas arabe) qui « témoigne d’une intense créativité théologique et littéraire », mais qui « se nourrit aux mêmes mythologies que les chrétiens. » Au départ, le Coran a pris appui sur une vaste tradition orale, avec le but de remettre les croyants, juifs, chrétiens, sur la voie de la religion vraie, en affirmant avec force qu’il n’y a qu’un seul Dieu. Ceci étant, le manque de documents crédibles sur Mahomet – les éléments biographiques sur le Prophète datent de la littérature musulmane des VIII° et XI° siècles – et sur la construction même du Coran, avec des sourates qui datent de l’époque de Médine, d’autres de celle de La Mecque à quoi se sont ajoutés des commentaires plus tardifs, entoure l ‘origine de l’Islam d’un brouillard assez épais. On voit bien qu’un pouvoir politique, celui des omeyyades, plus tard celui du Califat, s’est appuyé sur la religion pour asseoir son autorité et que ce pouvoir n’a pas encouragé la création d’une critique textuelle et d’une critique historique – la légende a pris le pas et s’est figée en un corps intangible de doctrine. Somme toute, on ne peut qu’espérer que l’Islam s’engage dans la voie d’une étude objective de son passé. Mais cette étude objective peut sembler correspondre à une culture occidentale qu’une partie des musulmans récuse. Et il faut faire remarquer que l’approche historico-critique a mis du temps pour se faire accepter par l’Église romaine (la reconnaissance par Pie XII de la légitimité des études bibliques date des années 1940 !).Du coup, on n’est pas sorti de l’auberge ! Livre passionnant et qui donne donc une base historique essentielle pour comprendre ce qui est en jeu dans la question actuelle de l’Islam. On en trouvera une confirmation dans un autre ouvrage – Comprendre l’Islam, risque ou défi ?, de Pierre-Marie Soubeyrand (éd. des Béatitudes). Soubeyrand est un père blanc qui connaît bien l’Islam et qui cherche les conditions d’un dialogue honnête avec les musulmans.