Quand l’un des plus brillants et des plus subversifs romanciers de la nouvelle scène littéraire anglaise nous offre un essai sur l’art du roman international, on peut s’attendre à un texte qui bouscule les idées reçues sur la forme et le contenu de la fiction. En effet, ce « bric-à-brac », comme le qualifie l’auteur, fourmille de créativité, de finesse, d’espièglerie et d’inventions. Son but avoué, « nous conduire à des conclusions non concluantes censées nous mener nulle part » tout en envisageant les choses de la façon la moins sérieuse possible.
Et c’est ainsi que « Le livre multiple » est un bonheur de lecture pour tous les amoureux des lettres : auteurs, traducteurs ou lecteurs, tant la passion d’Adam Thirlwell pour la fiction et ses maîtres – Nabokov, Joyce, Borges, Sterne, Kundera, Bellow, Kafka, Gombrowicz, Schulz et bien d’autres- est contagieuse. On se laisse enivrer par toutes ses idées qu’il fait « courir les unes derrière les autres » en de savoureuses digressions qui digressent.
Ce jeune auteur né à Londres en 1978 déclare que pour lui « le roman est l’art de la frivolité ». Et pourtant il vit sa passion pour la littérature avec le plus grand des sérieux. Rédacteur en chef de la très prestigieuse et exigeante revue littéraire Areté fondée par le poète Craig Raine, il collabore entre autres au « Guardian » et à la « London Review of Books ». C’est avec son premier roman « Politique » traduit en vingt langues, qu’il est entré à l’âge de trente ans dans la liste des vingt meilleurs jeunes auteurs britanniques de la célèbre revue « Granta ».
Thirlwell est surtout un romancier, cet essai est donc l’œuvre d’un praticien avant d’être celle d’un théoricien (comme Nabokov et Kundera, ses deux mentors). Cela a de l’importance dans la forme, dans le ton et le style tout à fait unique qu’il donne a son contenu. Jamais pontifiant, toujours truculent, il nous régale de la cocasserie de son esprit et tente d’apporter un éclairage nouveau aux questions que l’on peut se poser sur le roman:
– Les mots peuvent-ils être des signes de confiance ?
– Comment restituer le réel ?
– En littérature le vrai est-il concevable ?
– Le style peut-il survivre à sa migration dans une autre langue ?
– Toute voix peut-elle être imitée ?
– Où sont les frontières entre essai et fiction ?
– À quel moment une réécriture devient-elle l’original ?
– Quand un roman doit cesser d’être multiplié ?
Tant d’interrogations qui viennent à l’esprit des romanciers plongés dans l’inconcevable complexité de l’écriture et qui en souffrent. « À mesure que j’avance, les difficultés surgissent. Quelle lourde charrette de moellons à trainer » avait écrit Flaubert à Georges Sand, comme nous le rappelle Thirlwell.
Il faut plonger dans « Le livre multiple » armé d’un carnet et d’un stylo tant il regorge de citations précieuses, de listes d’ouvrages à lire, d’idées à retenir. Nul doute qu’il trouvera sa place parmi les meilleurs essais littéraires.