Écrire un texte inspiré du chef-d’œuvre de Rainer-Maria Rilke « Lettres à un jeune poète » est une démarche très audacieuse. Il fallait un auteur comme Martin Page, dont les qualités de cœur égalent les qualités de plume, pour se lancer dans une telle entreprise et la réussir pleinement. Page est un écrivain pour qui « la délicatesse est le socle des relations humaines », et ça se sent tant son « Manuel d’écriture et de survie » est un bijou de pertinence, de finesse, d’humilité à l’intention de tous ceux qui font vœu d’entrer en écriture ou que la littérature fascine sans la pratiquer.
On pourrait pourtant s’étonner que Martin Page, constamment qualifié de jeune auteur, puisse prodiguer des conseils à une écrivaine en herbe. Rilke, ce qui est très surprenant n’avait que 27 ans quand il correspondait avec Kappus. Page a presque 40 ans aujourd’hui, ce qui fait de lui un vieux sage en comparaison. Mais surtout question création littéraire, il en connaît un rayon. Il a derrière lui une œuvre exigeante et protéiforme : des romans, des essais, des nouvelles, des ouvrages pour la jeunesse, de la bande dessinée. Sans compter tous les espaces que lui offre la toile et où il exprime ses talents d’artiste web 2.0 en tant qu’auteur-vidéaste-dessinateur : blog, tumblr, vimeo, mixcloud, facebook….
Dans ce joli livre rouge, la correspondante des lettres de Martin Page est une étudiante en génie mécanique qui se lance dans l’écriture. Elle s’appelle Daria, prénom à double étymologie : «instruite, cultivée» en arabe ou «détentrice du bien» en grec. Il est certain que cela n’est pas un hasard, c’est une rencontre. Comme dans le Rilke, nous n’avons que les lettres de l’auteur chevronné qui, tout en bienveillance et profonde humanité, décrit ce que représente le fabuleux et parfois bien douloureux métier d’écrire : la pratique, les incertitudes, les obstacles à la publication, l’attente de reconnaissance, les ressources de l’échec, les pièges du succès, les découragements, les renoncements, les espérances, les trahisons, les déceptions, les surprises, les joies. La vie créative en somme. Il aborde avec simplicité les grands thèmes propres à toute création, qui vont de l’inspiration, à l’obstination, en passant par le rapport au temps, à l’argent, et la difficile épreuve du regard, du jugement des autres.
À travers ces lettres aussi vives que brèves, c’est tout le petit monde de Martin Page qui se dessine sous nos yeux, car « la littérature est un art visuel ». On le retrouve chez lui ou dans son atelier, son chat ronronnant à ses pieds, un thé fumant sur sa table et son vieux Sheaffer snorkel à plume bicolore en main. Prêt à écrire. Martin Page est un auteur très habité, il possède une belle âme d’artiste et tente d’appliquer à lui même les préceptes qu’il délivre aux autres, soit l’art subtil de conjuguer comme il le dit «éthique de vie et ambition esthétique». Selon Rilke, rien n’est pire que la critique, on doit aimer les livres et non les juger. Et bien, on aurait pu se contenter de déclarer que ce dernier ouvrage de Martin Page, on l’aime tout simplement.