L’ex-ministre de la Justice est une fine mouche. De son départ du gouvernement rendu inévitable par son désaccord public avec le projet d’inscrire la déchéance de la nationalité dans la Constitution, elle a fait un petit événement en quittant la Chancellerie à vélo et en publiant cette adresse à la jeunesse. Un « devoir », affirme-t-elle : « Une génération peut éclairer le présent et offrir à la suivante de choisir l’épaisseur et les couleurs de son propre présent ».
Dans un style très jeune fille, gorgé d’hyperboles et de mots doublés de synonymes jusqu’à l’incantation, elle célèbre donc ces jeunes qui sont « prêts à aller au feu pour que vivent les autres, en paix », ces jeunes qui « ont connaissance, curiosité, gourmandise, inclination, désir pour le monde qui les entoure, qu’ils fréquentent, qu’ils étreignent, qui leur ressemble tant […] ».
Pas sûr qu’ils se reconnaissent. Ni qu’ils comprennent ces « murmures » exaltés. Dans la forêt touffue de ce lyrisme assez touchant, le message est flouté, voire noyé. Quand on referme le livre, on en a plus appris sur le goût de la poésie et le tempérament vibrant de Christiane Taubira, qui invoque une multitude de mânes, de Victor Hugo à Franz Fanon, que sur sa pensée. Sauf sur un point, la déchéance de nationalité. Là, l’ex-Garde des Sceaux est claire, nette. C’est non. Par principe. « Osons le dire : un pays doit être capable de se débrouiller avec ses nationaux. » Sinon, si tous les Etats en décidaient à leur guise, quid des déchus ? « Faudrait-il imaginer une terre-déchetterie où ils seraient regroupés ? » C’est non, pour le symbole, qui « joint », « met ensemble », et ne crée pas de différences de statut entre ceux, tous Français, qu’il unit. Dans une République en panne de transcendance, les symboles sont tout, et « la Constitution est leur résidence », « ce qui nous permet d’être nous » _ « chacun une part de ce nous indivisible ». La France dispose de suffisamment de lois pour sanctionner, souligne-t-elle . Puis elle conclut : « Je ne suis sûre de rien sauf de ne jamais trouver la paix si je m’avisais de bâillonner ma conscience ».
Mais Christine Taubira ne dit rien de l’inscription de l’état d’urgence dans la Constitution. Elle ne dit rien des autres sujets sur lesquels ses amis frondeurs l’attendaient. Pas un mot non plus du Premier ministre ou des autres membres du gouvernement. D’une loyauté qu’on qualifiera d’impeccable, de calculée, ou de scolaire, elle dresse en fin de livre un portrait admiratif du président Hollande, en filigrane de son récit du 13 novembre et de ces suites que le pouvoir eut à gérer. A aucun moment, elle ne s’étonne que face à la voix discordante que cette courageuse faisait entendre publiquement depuis, il n’ait pris lui-même l’initiative de la congédier.