Serge Airoldi publie, chez L’éveilleur, Adour histoire fleuve, avec une préface de Jean-Paul Kaufmann. Depuis la recherche des sources de l’Adour – et chacun, dans la Haute Vallée a son hypothèse sur cette question de l’origine – jusqu’à sa rencontre avec l’Océan, Airoldi suit ce fleuve dans tous ses états, torrentueux, paresseux, débordant, clair comme un torrent de montagne ou chargé de limons et son livre se déploie comme le fleuve lui-même, s’enrichissant des apports d’autres rivières, se perdant derrière des rideaux d’arbres, se découvrant à partir de promontoires auxquels on accède par des chemins improbables. Fleuve toujours différent, et toujours le même, évidemment, au cours des siècles, au cours des millénaires. Fleuve chargé d’histoire au sens le plus vaste du terme, chargé aussi d’histoires au sens plus restreint des destins individuels de ceux qui l’ont aimé, qui ont vécu de lui, de ses richesses, qui ont vécu auprès de lui, de ses lumières et de ses ombres. Airoldi est toujours attentif aux paysages, moins curieux des villes qui n’ont pas toujours bien traité le fleuve qui les traverse.
Et l’on comprend que le fleuve est, au sens vrai du terme, une voie de communication – pas seulement des produits dont on fait commerce comme les marbres de la vallée de Campan qui après un long périple par cols et rivières parviendront jusqu’à Bayonne, puis Nantes, puis la Seine et enfin Versailles où ils orneront le Petit Trianon – mais aussi des idées et de la culture qu’il suscite et fait voyager. Airoldi a appris la géographie, celle de Jean-Christophe Bailly (Le dépaysement, voyages en France) comme il appris l’histoire, celle des grands de ce monde et celle des plus humbles.
Mais il y a le présent de son exploration. Ce livre est aussi fait de rencontres et Airoldi a la sagesse de s’effacer devant ceux qu’il croise durant son périple – ainsi de Dominique Haim qui poursuit l’aventure jardinière, « une folie démente », de son père, Paul, qui fut un des grands marchands d’art moderne, avant de tomber amoureux des bords de l’Adour; ainsi de Jeannette Leroy qui ne cesse de peindre en dépit de la cécité qui la guette – ; devant ceux ou celles qu’il évoque parce qu’ils sont nés ou ont vécu dans les parages et ont eu des destins singuliers telle celui de Zaza Lacoin qui se brûla aux amours impossibles du groupe Sartre, Beauvoir, Merleau-Ponty.
Dire que Serge Airoldi aime d’amour son Adour est trop peu. Il n’ignore rien des saligues qui sont des »prairie[s] humide[s]et ce qui ressemble à une pelouse envahie par la molène, la vipérine, la vergerette, le trèfle, la cotonnière, le vulpie et la canche » et des barthes, des galiotes, bachets et autres chalibardons. Il aime l’Adour en poète, on l’aura compris à la jouissance qui est la sienne des mots rares ; il l’aime en homme de culture qui enrichit sa vision des écrivains, des musiciens, des peintres et des sculpteurs dont il est familier ; il l’aime en voyageur qui sait trouver grâce aux images, aux souvenirs d’ailleurs des clés pour mieux comprendre l’ici.
A côté du Danube de Claudio Magris, l’Adour de Serge Airoldi n’a pas à rougir de ses moindres proportions et j’aime à penser que chacun rend un éloge d’égale intensité à la beauté de leur fleuve.