Ce titre, pour moi, est un oxymore. Souvent les histoires qui se passent sur un cargo sont émaillées d’ivresses, pas seulement celle du large. Après des années d’errance et de destruction, Thierry Marignac entreprend la traversée de l’Atlantique sur un cargo « fer à repasser industriel aux dimensions d’immeuble de quatre étages » et relate ce voyage. Un cargo où, pour des raisons évidentes de sécurité, tout alcool est interdit. Un défi pour lui qui ne cache pas son attirance pour l’alcool « Il y avait plusieurs années que je n’avais pas passé une seule soirée sans boire, et trop, du reste, la plupart du temps. » Thierry Marignac intellectualise beaucoup le voyage, pourtant il y a comme de la rage, derrière ses mots. Chaque moment, chaque paysage, l’état de la mer sont autant de moyens de se remémorer des auteurs lus, traduits, des films, ses propres écrits. Il s’égare dans ses souvenirs personnels et de lecture. Cela ne l’empêche pas, au détour d’une page, de brocarder le capitalisme à travers les marins philippins et les ingénieurs roumains, de parler de Notre Dame des Landes. Son bateau, il ne l’appelle plus que « cargo sobre » ; La terre, donc, la griserie, lui manque, le thème revient en boucle. Oui, il a le temps du voyage pour penser, il prend le temps de se souvenir, faire le point. « Je concevais donc ce voyage comme une étape utile vers un apaisement salutaire » « Il se peut que je m’aveugle et que je vogue vers l’échec, à bord du cargo sobre. Mais j’aurais tenté quelque chose d’autre que la traduction au kilomètre pour payer mes factures. J’aurais échappé, bercé le temps d’une rêverie atlantique, à mon sort civilisé. » J’espère que vous avez trouvé cet apaisement. Un livre à l’écriture exigeante, saccadée, comme l’état de la mer, avec de belles envolées poétiques (très belle description de la toundra russe). Un livre que je n’ai pu lire qu’au calme pour bien m’imprégner des mots de Thierry Marignac. Il y a l’ivresse des mots dans ce cargo sobre.