La rédaction l'a lu
L’autre, cet inconnu« Au commencement, il y a la honte. Elle plane à l’intérieur de toi, insaisissable et délétère. Un cancer, une méduse, qui t’habite, te constitue. Un putain d’alien dont l’existence est entièrement vouée à pourrir la tienne, à s’épandre, à t’étouffer de l’intérieur (…). Les mots te font défaut, et aussi les idées. La colère n’est pas encore née (…) ». Réquisitoire, confession, interpellation ? Ce texte coup de poing de Karim Miské est de ceux qui bousculent. Cette « tête d’Arabe avec des manières de Blanc » (tel qu’il se définit lui-même) est bien remplie. De tout un tas d’éléments qu’il faut bien remettre en ordre, la cinquantaine arrivée. Un mot, asséné par le grand-père malade (bien qu’aimant), « bâtard ». Des échanges avec les copains du CM2 sur l’après-guerre d’Algérie. La religion, le racisme, l’impossible appartenance… tout y passe. Parfois avec humour, comme pour la construction de son identité masculine, pas seulement parce que ses parents ont divorcé et qu’il a été élevé par une mère « marxiste-féministe » subjuguée par l’Albanie d’Enver Hoxha, mais parce que Karim s’interroge au lieu de suivre le mouvement (et même, affront suprême à la virilité, il n’aime pas le football, confesse-t-il !). Comment grandir, malgré tout ? « J’habite une étrangeté. Inquiétante parfois » pour le gamin qui observe « un papa, une maman, une religion. Tous blancs, de droite, solides. » Un rêve inatteignable pour lui, né d’un père mauritanien musulman et d’une mère blanche issue d’une famille bien traditionnelle. Il n’appartiendra à aucune religion, par absence de foi, ne se reconnaîtra vraiment dans aucune identité, sauf celle de l’enfance. Faute de trouver sa place dans cette société peu faite pour le « bâtard arabe », il écrira. Un polar « Arab Jazz » (paru en 2012), en tribut à un genre littéraire qui lui aura permis de trouver un univers mental autant que… familial. Et ce livre, tribune d’expression dans lequel sont cités Sartre, de Beauvoir, Hannah Arendt, Patti Smith, Johnny Rotten et Sid Vicious, Twin Peaks et Jean-Patrick Manchette : « car au fond, tu sais bien, toi, que la foi en la littérature, fût-elle policière, n’a jamais tué personne, au contraire de la plupart des autres croyances politiques ou spirituelles. » |
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