A la mort de sa grand-mère, l’auteure se voit confier une valise pleine de papiers et de lettres, un témoignage de la vie de jeunes mariés d’Etiennette et Georges, ses grands-parents unis en 1943 à Casablanca, et aussitôt séparés par la mobilisation du jeune homme, le temps de la Libération puis pendant la guerre d’Indochine. Eloignés durant cinq ans, jusqu’en 1948, les époux inventent un mariage épistolaire, une relation à distance qui, loin de s’effilocher avec le temps et l’espace, recrée un univers d’écriture intime et amoureux. Lorsqu’ils se marient, Etiennette, qui n’a pas vingt ans, est enceinte d’un autre homme qui l’a abandonnée. Georges, qu’elle a rencontré à la caserne de Casablanca où elle travaille comme secrétaire, a accepté d’endosser cette paternité par amour. Mais la guerre leur vole leur vie conjugale. Quelques mois après la naissance de leur deuxième enfant, Etiennette sera rapatriée en France, avec la perspective de retrouver son mari. Hélas, l’ordre de mobilisation pour l’Indochine tombe, et la jeune mère se rend dans le Nivernais avec ses deux enfants, à Saint-Benin-des-Bois, chez la grand-mère de Georges où ils resteront plus de deux ans. Dans cette campagne taiseuse où Etiennette est perçue comme une « éternelle étrangère », la vie quotidienne est rude. La jeune femme a bien des raisons de se désespérer, séparée de son Maroc natal et de son mari, d’autant que les nouvelles officielles qui parviennent d’Indochine sont parcellaires, propagande oblige. Cependant les époux s’écrivent sans relâche ; parfois le courrier n’arrive pas, ou avec plusieurs semaines de retard, parfois les phrases sont recouvertes du trait noir de la censure, souvent l’espoir d’une permission ou d’un retour est douché. Elle lui raconte la ferme, les travaux journaliers, les balades à bicyclette, les critiques sur sa façon d’élever leurs enfants, le puits gelé en hiver, les bals aussi. Lui écrit la lassitude, les pénuries, les conditions de vie déplorables, mais aussi sa volonté de reprendre des études, de se constituer une bibliothèque, il est avide de détails sur les enfants et lui envoie des baisers d’encre. Cinq ans, c’est long, ils se disputent parfois, se réconcilient toujours, « la séparation rend bête et malheureux », mais ils se sentent aussi plus libres d’affirmer leurs désirs. L’écriture leur a permis de maintenir la vie, d’entretenir la « flamme », de s’aimer et de vivre dans un présent marqué par l’absence mais tangible par « les puissances et les mirages du verbe ».