« J’appartiens à cette catégorie de l’humanité pour qui chanter et jouer d’un instrument tout en restant en rythme a longtemps paru un exploit impossible ». La confession de l’auteur du monumental Dictionnaire du rock a de quoi surprendre, mais c’est un fait : longtemps, s’il ne s’est pas pour autant couché de bonne heure, Michka Assayas n’a jamais fait de musique.
Pourtant le rock est très tôt devenu important dans sa vie. Dans ce texte autobiographique qu’il publie aujourd’hui, l’ancien des Inrocks raconte par le menu son apprentissage, ses engouements, ses découvertes, l’évolution de ses goûts musicaux aussi, alors que la scène internationale se transformait, et, en filigrane, on devine combien tout cela l’a construit et façonné.
L’adolescence de son fils Antoine est venue bousculer l’existence de l’écrivain, alors que tous deux étaient dans une relation tendue, compliquée. C’est Bono, le chanteur de U2 ami de Michka, qui a un jour conseillé : « Tu devrais faire quelque chose avec lui ». Pas seulement essayer de parler avec l’ado donc, mais partager. Michka Assayas se lance alors dans un projet fou, improbable. Il achète une basse et propose à son fils, qui excelle à la batterie, de créer un groupe de rock, embarquant dans l’aventure une jeune fille qui sera la chanteuse. L’apprentissage est difficile, mais peu à peu quelque chose se passe, d’étrangement libérateur, depuis les répétitions jusqu’à la première scène. Un jour, Michka Assayas sera même capable de s’emparer du micro, et de chanter.
Il avait surpris son monde avec son fabuleux Faute d’identité, récit où il racontait comment il s’était retrouvé sans papiers du jour au lendemain car, né français en France mais de parents naturalisés, il avait été plongé dans un imbroglio administratif kafkaïen pour simplement renouveler son passeport. De cette histoire privée, absurde mais si représentative de la France d’aujourd’hui, Assayas avait fait un livre où beaucoup de lecteurs pouvaient se retrouver, mais aussi un roman intime et émouvant à l’évocation d’une famille, et singulièrement sa mère, sans grandiloquence ni déballage narcissique.
Même pudeur ici dans ce récit qui porte un regard très fin sur les relations père-fils. Assayas n’essaie pas de se donner le beau rôle et ne cherche pas non plus le happy end, conscient que les liens familiaux se travaillent et se retravaillent sans cesse. Il rend par contre, et en toute discrétion, un bel hommage à son fils. Ici, c’est l’adolescent qui aide le père à se construire, lui permet de se réaliser, et même de réaliser l’irréalisable. Très symboliquement, en lui donnant l’occasion de jouer d’un instrument et de chanter, Antoine permet à Michka de s’exprimer comme il ne l’avait jamais fait.