Guy Birenbaum est de ces journalistes, blogueur, homme multi-casquettes dont le nom semble familier à beaucoup. Pour certains, ce sera pour le souvenir de chroniques pertinentes, un billet d’humeur à l’humour ravageur, une voix sur les ondes. Pour d’autres, les connectés de la première heure, il a l’aura du pionnier présent sur tous les fronts. Internet à haute dose : blogosphère, tweet, réseaux sociaux, il est omniprésent. Jusqu’à l’overdose, pour lui, et une dégringolade psychique qui dit son nom : dépression. L’analyse et le récit de celle-ci sont d’une remarquable justesse. Le journal de bord de cette chute est passionnant, pas simplement parce que Guy Birenbaum s’interroge sur les causes profondes de sa maladie, mais parce qu’il ne fait pas l’économie d’une interrogation plus vaste (sur sa famille), plus universelle aussi : quelle société que la nôtre aujourd’hui ?
Les chapitres sont courts, incisifs. Parfois un souvenir évoqué en quelques phrases. D’autres fois le compte-rendu d’un épisode professionnel. Et, peu à peu, le malaise prend. A la relecture d’un travail de son ami Diastème sur les skinheads français, voici ce qu’il éprouve : « je me plonge dans cette histoire terrible de violence, de racisme, de haine (…) je me sens cerné. Où que je me tourne, c’est toujours la même histoire qui m’agresse. Quand mon ami s’en va, j’ai le dos en compote. Et je me tords le ventre. » Réponses du corps, le mal a dit…réfléchis ! L’actualité internationale n’aide pas l’auteur dans son malaise, la Syrie, l’Ukraine « tant de tweets et tant de messages pour attirer nos regards et partager des images traumatisantes. Sur tous nos écrans, de la haine, du sang et parfois, donc, la mort qui frappe au hasard au bout du clic. »
Saturation, maux physiques, examens médicaux, incompréhension, Guy Birenbaum décortique, surprend d’une phrase (« papa est en voyage d’affect »), interpelle nos consciences parfois. Il est d’une lucidité généreuse, réussit à nous amuser de ses découvertes et puis, peu à peu, le livre devient plus intimiste. Dans le chapitre intitulé « Tauba Zylbersztejn », il évoque la rencontre de sa mère avec Robert Birenbaum pendant la seconde guerre. S’éloignant de la maladie, de son trop-plein d’hyperconnectivité, Guy se dévoile encore plus. Son histoire, celle de ses parents, l’acte de Rose -voisine et proche de sa mère- qui dénonça son propre fils et permit à Tauba et les siens d’échapper à la déportation. Une autre grille de lecture, de compréhension, intervient. L’auteur reprend les mots de ses parents, relate quelques épisodes de leurs vies, partage des photos d’époque. La résistance, les compagnons communistes, les Justes, être juif… tout se mêle pour le narrateur qui confie pourquoi il ne parvient pas à « transmettre » l’histoire de ses parents, malgré la demande de son père. Rien n’est éludé dans ce témoignage : pourquoi ces onze ans d’écart avec son frère ainé, pourquoi c’est lui qui a hérité du prénom de résistant de son père. La lecture se poursuit, pleine de rebondissements.
« Je dresse le réquisitoire d’un procès dont je suis à la fois le procureur et le prévenu. J’accuse l’ego qui m’a conduit aux pires erreurs (…). Comment peut-on être aussi autocentré et persuadé de son importance ? » Guy poursuit, implacable.
Il décrit les médicaments (antidépresseurs, anxiolytiques), l’impuissance et le soutien de son entourage… et la remontée, à petites foulées (il reprend la course à pied). Il continue de s’interroger sur l’antisémitisme, le racisme, la bêtise ordinaire, le rôle de l’information et des médias, poursuit son autocritique aussi : « j’ai abdiqué toute ambition intellectuelle pour délivrer des humeurs et les tartiner (…). J’ai agi exactement à l’identique, de manière aussi autodestructrice, avec mes origines, mon histoire, ma culture, mon identité. Je me suis planqué sous la carapace d’une brute qui court, qui cogne, qui encaisse et qui n’a jamais mal. »
Un récit exemplaire d’un homme qui ne l’est pas moins.