Nombre d’adolescents ne rêvent que de grands espaces ; de faire le tour du monde, de voyager seul, de bourlinguer, le sac au dos. Ce n’est pas du tout le cas d’Amélia. A 16 ans, elle habite dans un appartement parisien et se complaît dans cette vie facile, choyée par des parents protecteurs et aimants. Le problème, à ses yeux, justement, ce sont eux : aussi brillants qu’elle se trouve médiocre. Peu disponibles pour s’occuper d’elle, ses parents, engagés dans des associations, se soucient pourtant du sort des autres. Le seul refuge d’Amélia, c’est la nourriture : trois pains au chocolat violemment engloutis juste après avoir passé la porte de la boulangerie, un paquet de biscuits dévorés en rentrant du lycée… Incapable de se contrôler, elle compare sans cesse son mal être à la soi-disant perfection de ses parents. Mais un matin, une lettre de Mongolie adressée à sa mère va bouleverser le quotidien d’Amélia : on lui demande de venir en tant que bénévole. Ils se décident alors à partir tous les trois, mais un imprévu de dernière minute laisse Amélia face à ses démons : ses parents ne pouvant se libérer, elle doit partir… mais seule.
Après « Sweet Sixteen », paru en 2013, pour lequel elle a reçu de nombreux prix, Annelise Heurtier continue d’explorer l’être humain, et plus particulièrement l’adolescent en quête d’identité. En laissant parler Amélia, elle ne laisse pas le choix au lecteur : il s’attache et se reconnaît dans cette jeune voix féminine troublante et extrêmement mature ; il partage ses doutes et ses terribles angoisses, jusqu’à entièrement relativiser, pour s’étonner, s’émouvoir. Plongée au cœur des bidonvilles, Amélia fait face à la réalité crue, à l’extrême pauvreté, aux orphelins désœuvrés, et c’est volontairement que l’auteur ne ménage pas le jeune lecteur : elle traite un sujet difficile, mais toujours avec beaucoup d’humour. Auparavant pétrie de complexes et de contradictions, la jeune fille apprend doucement à redonner du sens à sa vie, et à faire la part des choses : très vite, elle ne songe plus à grignoter pour tromper l’ennui, et c’est en se remplissant de l’amitié d’autrui qu’elle parvient finalement à grandir, c’est en allant vers les autres qu’elle finit par se connaître elle-même. Dans ce roman initiatique, à l’écriture puissante et profonde, on assiste à l’éclosion d’une jeune femme, qui découvre une contrée jusqu’alors totalement inconnue : c’est à travers ses yeux naïfs d’occidentale que défilent l’immensité infinie des steppes mongoliennes et la ville d’Oulan-Bator, l’envers de Paris, « là où naissent les nuages ». « Ma vie est la vôtre, votre vie est la mienne, vous vivez ce que je vis », disait Victor Hugo : l’histoire d’Amélia peut être lue comme une violente prise de conscience de nos existences.