La pyramide des besoins humains
Caroline Sole

Ecole des loisirs
medium
mai 2015
128 p.  12,80 €
 
 
 
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Téléréalité

 A force de se faire taper dessus, il s’enfuit, prend un train qui l’amène à Londres et, tout aussi directement dans ce quartier qu’il appelle Chinatown. « Je suis l’un de ces gosses qui dorment à Leicester Square, Piccadilly Circus ou dans une rue adjacente. Même pas recroquevillés, juste crevés, étalé de tout leur lons dans des sacs de couchage qui sentent l’urine et la bière. Bienvenue à Chinatown. ». Avec son compagnon d’infortune, il vit dans des cartons, « J’ai appris à dormir sans dormir et mes yeux se sont éteints ». Pour fuir une pluie magistrale, il entre dans une boutique informatique et tombe nez à nez avec une affiche proposant un jeu de téléréalité: « La pyramide humaine ». Après moult hésitations, il s’y inscrit sur internet « Une demi-heure d’internet coûte le prix de trois hot-dogs. » Alors commence sa propre pyramide, tout s’accélère, tout peut changer. Je ne vous en dirai pas plus pour garder le mystère. Difficile de suivre le jeune homme à travers les mots de Caroline Solé. Cela va à cent à l’heure. Pas d’attendrissement sur sa vie de laissé pour compte, Christopher ne le veut pas et, puis, vivre dans ces conditions prend toute son énergie. Beaucoup d’allers et retours, non pas en train, mais dans la vie du jeune homme. Il est parti, mais, certains soirs, les beignes de son père lui paraissent douces à côté de ce qu’il vit. Son frère, surtout, lui manque, comme leurs promenades dans la campagne environnante. A travers ce court récit, Caroline Solé épingle les dérives de notre société ; la téléréalité, où, pour gagner, des êtres humains étalent leur vie privée, voire très privée pour gagner un instant de célébrité qui durera le temps de l’émission. Christopher parle de ses « amis » qui « like » son profil et le font monter dans la pyramide. Dualité entre ce besoin de connaître son fameux « quart d’heure de célébrité », les paillettes qui disparaissent au démaquillage et la vie sordide de ces miséreux, hommes, femmes, enfants, qui luttent pour ne pas crever dans la rue. Une écriture nerveuse, rapide, sans fard pour ce livre Livre lu dans le cadre du prix de littérature jeunesse, section baroudeurs, de « L’échappée lecture », organisé par la bibliothèque départementale de la Nièvre. 

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Le jeu de la vie

« Donc, la célébrité me tombe dessus comme la fiente d’un pigeon sur la tête. J’ai d’autant plus de mal à prendre conscience de ce qui m’arrive que personne ne connaît mon visage. Je continue à vivre comme un clochard anonyme. N’importe quel taré pourrait fracasser une bouteille sur mon crâne sans que le public en devine rien. Des spectateurs assidus regardent peut-être mon profil sur leur téléphone en marchant devant moi sans le savoir. »
Sous la pluie battante londonienne, Christopher, quinze ans, trempé jusqu’aux os, se réfugie à l’intérieur d’une boutique d’informatique. Tenant fermement son duvet mouillé sous le bras, il fait le tour du magasin jusqu’à ce que son regard soit attiré par une affiche : « Toi aussi, joue ta vie. » La vie serait un jeu ?! Qu’en est-il de sa vie à lui ? Une vie minuscule faite d’un sac de couchage, quelques affaires, un bout de carton juste assez grand pour recouvrir le sol d’une rue suffisamment passante pour récupérer quelques pièces… et puis d’ un compagnon de route et de galère, Jimmy. Sa vie d’avant, il y pense parfois. Son frère lui manque, c’est certain, mais les coups de son père lui ont tant laissées de traces au corps et au coeur que la clochardisation aussi dure soit-elle lui a au moins donnée la liberté.
Cette affiche évoque un nouveau jeu de télé-réalité : 15000 candidats au départ pour un seul gagnant au final, inspiré d’une théorie d’un psychologue américain Abraham Maslow hiérarchisant les besoins humains en cinq paliers – des besoins physiologiques, de sécurité, d’appartenances et d’amour, d’estime, et d’accomplissement de soi –, se créer un profil sur internet, y publier des photos, des messages, des vidéos et surtout écrire un mail de 500 caractères chaque fin de semaine validant un palier, d’une durée d’un mois, et ce sont les votes du public qui décide de l’ascension ou pas.
Les trois pièces dans la poche de Christopher, destinées au hot-dog journalier, se retrouvent bientôt dans la main du patron de la boutique. Et Christopher, trouve une place devant un ordinateur… se crée une identité : Christopher. Scott54, 18 ans. L’emplacement de son visage reste vide. Le voilà inscrit à La pyramide des besoins humains.
La photographie de son duvet gisant sur le bitume sale d’une rue de Chinatown suffira, à son grand étonnement, à faire exploser les votes en sa faveur. Semaine après semaine, Christopher rédigera quelques mails, glissera deux, trois clichés sur le site internet du jeu… sa marginalité et le mystère qu’il dégage feront de lui quelqu’un d’extraordinaire, une célébrité.
Une réflexion intéressante et très bien menée par l’auteure – sans pathos – sur l’univers pailleté, superficiel et voyeur de la télé-réalité, et plus largement des réseaux sociaux, des médias, de la société de consommation et de l’univers diamétralement opposé dans lequel se débattent les SDF – où les mineurs grossissent les rangs de jour en jour… – qui en plus de vivre doivent survivre. Des mondes qui s’entrechoquent mais ne s’emmêlent pas.
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