Une nuit d’orage, un jeune garçon de quinze ans tombe « dans la seule terre, le seul endroit où l’on ne croit ni aux contes, ni aux fées » : notre monde. Nous sommes en 1936. Jacques Perle, un fabricant de guimauves, recueille l’inconnu sur le trottoir, en face de sa boutique. Avec son épouse, ils le considèrent bientôt comme leur propre fils, peut-être en souvenir, peut-être en consolation de celui qu’ils ont perdu deux ans plus tôt. Mais dans ses moments de faiblesse et de grande lucidité, ce que les deux commerçants appellent « ses crises », le jeune homme aux cheveux indomptables parle de « retourner dans son monde ». Son esprit est peuplé de souvenirs magiques, de chimères d’un passé lointain. Inévitablement, il part, un jour, sans se retourner. En prenant le nom de l’enfant mort, Joshua Perle, il fuit affronter son destin. Il veut retourner de là où il vient, l’univers auquel il a été arraché. Mais plus que ses origines, plus que le retour à sa terre perdue, sa quête profonde, c’est celle de l’amour d’une fée. Commence alors une vie d’exilé… Des années plus tard, nous le retrouvons vieil homme, reclus dans les montagnes, au cœur d’un refuge abritant un mur de valises entassées. Un refuge de secrets. Le narrateur, un jeune garçon, décrit alors sa rencontre avec Joshua Perle. Dans son sac, il a une caméra, un appareil photo, des pellicules. Autant de souvenirs, images du passé, à jamais fixées. Etrangement inconsolable, il est lui aussi à la recherche de celle qu’il aime…
On parle beaucoup du plaisir du lecteur. De la plénitude ressentie à tourner les pages, de cette évasion onirique que l’on ne retrouve nulle part ailleurs. L’éphémère accès à la magie. L’oubli du réel. On parle peu du plaisir d’écrire. De la générosité de l’écrivain, de l’immense volonté de transmettre une passion. Ici, tout y est. Tout fait sens. On s’y retrouve, malgré l’apparence décousue des chapitres et le savant mélange de récits. Et le plaisir est décuplé, puisque le narrateur n’est autre que l’auteur lui-même. C’est lui que l’on suit, haletant, dans les pas de la fée, lui qui nous guide et enfile les perles une à une. Dans la lignée de ces précédents romans – il y a encore une cachette, une cabane, un refuge ; encore une recherche, une solitude, une quête ; encore un héros solitaire, un être mélancolique, un prince romantique – Timotée de Fombelle invite cette fois, à prendre la voie du conte. Un conte singulier et ambitieux, où deux mondes se superposent et se confondent, comme des pellicules : le nôtre, passé, époque de l’après seconde guerre mondiale, et un tout autre, son contraire, fantaisiste et merveilleux, un royaume de princes et de fées. Pourtant, rien de naïf, rien d’enfantin, dans ces aventures empreintes de philosophie, et de beaucoup d’humanité. A la lumière de notre propre vie, le regard braqué sur notre quotidien, Timothée de Fombelle repousse les limites de l’imagination ; il s’amuse, avec la sensibilité qui le caractérise, à nous prendre les pieds dans le tapis magique. Il nous donne de vieilles valises de cuir, pour mieux nous évader.