« Toutes les grandes personnes ont d’abord été des enfants, mais peu d’entre elles s’en souviennent », disait Antoine de Saint-Exupéry. On pourrait ajouter que peu d’entre elles se souviennent de leur période d’adolescence : rébellion, revendications, mal être… des sentiments enterrés depuis longtemps au plus profond d’elles-mêmes. Pourtant, Gaël Aymon, lui, semble se souvenir de tout. Mieux encore. En se glissant dans la peau de Yanis, un ado de 16 ans, il fait le récit d’une déception amoureuse au masculin. Une plongée réussie, dans la tête d’un jeune tourmenté, d’un jeune dévoré par la passion : fou amoureux de Camille depuis la cinquième, Yanis n’a pourtant jamais osé lui avouer ses sentiments, faute de confiance en lui. Lassée d’attendre, Camille a trompé Yanis. Elle lui a tout avoué, dans une lettre. Mais elle n’aurait pas dû. C’était une erreur. Elle regrette. Pour le jeune homme, ce dérapage est impardonnable. Fou de rage cette fois, il veut donc l’éviter, à tout prix. Il n’a plus que ce mot à la bouche : l’ou-bli-er.
Oui, mais comment oublier une fille qu’on aime à en crever ? Comment parvenir à sortir son image de son esprit, alors qu’on ne désire qu’une chose, c’est de la voir là, tout de suite, maintenant et de la serrer fort dans ses bras ? Qu’importe. Yanis fait le dur, et s’exclut peu à peu des autres. Camille est parti en voyage, et au lycée, il a peu d’amis. Ses notes chutent, mais il ne parlerait de ses problèmes à sa mère pour rien au monde. Il s’enferme dans sa bulle, cette coquille impénétrable. Rien ne peut le dérider, rien ne peut le faire sortir de son profond mutisme, sa sourde colère. C’est finalement auprès de Manu, son cousin, apprenti comédien, qu’il va trouver une oreille attentive et peut-être un ami. Manu, comme le grand frère qui lui manque terriblement.
Aimer, apprendre, grandir, devenir un homme, et croire dur comme fer qu’on en aimera pas d’autre comme elle : après le harcèlement scolaire, Gaël Aymon se penche sur le chagrin d’amour, vécu par un adolescent ultra sensible. Un récit sur la recherche d’une identité, qui fait écho à son premier roman pour ados « Ma réputation », paru en 2013. Avec une grande finesse, il aborde une période cruciale de l’adolescence : la construction de la personnalité, période pendant laquelle le regard de l’autre se fait jugement, et où il faut se conformer au risque d’être marginalisé. Comme tous les êtres humains, Yanis est en proie au doute ; comme les autres, il a des failles, des faiblesses, des défauts, même ; comme nous tous, il doute parfois de lui et a des difficultés à assumer ses choix. Gaël Aymon en fait un héros réaliste, courageux et extrêmement respectueux, qui se réalise enfin, et passe de l’enfance à l’âge adulte en laissant s’affirmer ses propres sentiments. Ce court récit intimiste, plein d’humanité, est un roman incontournable de cette rentrée littéraire jeunesse.