L’accident de voiture, terrible, est le point de départ du récit : Abigail, vingt ans, en classe préparatoire pour devenir vétérinaire et ainsi réaliser ses rêves, y laisse un bras. Sa mère n’a pas pu éviter l’autre véhicule qui brûlait un stop, à cause d’un téléphone au volant. La vie d’Abi ne sera plus jamais comme avant, et il lui faut tout réapprendre, tout : enfiler sa petite culotte, lire un livre, se laver… Isolée du monde – elle s’est recentrée sur elle-même et ne parle plus à ses amis -, elle a déménagé avec sa famille et heureusement que Coline, sa tante de trente-six ans, célibataire et complètement déjantée, l’aide à accepter son sort. Mais chaque fois qu’elle doit gérer son quotidien : faire une lessive, des courses de Noël… tout est plus compliqué, plus lent. Et Abi n’accepte pas tout. Son moignon – qui rime avec rognon – est sensible et douloureux. Thomas, son ancien petit ami, lui manque : elle l’a congédié bien avant d’être sur son lit d’hôpital, mais elle pense encore à lui, l’espionne parfois sur les réseaux sociaux… Elle envie sa sœur Millie, une jolie adolescente de quinze ans, les joues roses de plaisir, qui ne fait que sortir. Abi ne se projette plus. N’a plus envie de rien. En veut parfois à sa mère, pourtant patiente et bienveillante, à son père, qui, à force de blagues censées la faire rire, se montre très maladroit, et surtout à cette femme qui l’a percutée de plein fouet… L’adolescente est en colère contre le monde entier.
Plongée dans son ressentiment, elle accepte quand même de lire les livres de Blaise Cendrars, qu’elle reçoit d’un inconnu, par la poste : « La Main coupée », « L’Homme foudroyé », « La Vie dangereuse ». Des œuvres, certaines autobiographiques, des réflexions, qui semblent avoir été écrites pour elle. Grâce aux mots de l’écrivain, à son témoignage, elle s’identifie et commence une lente résurrection, qui passera par la découverte de l’auteur de ces lectures miraculeuses. Et puis Yoru, le chat qui lui a été offert par sa tante, l’aide aussi, à sa manière, tandis qu’Aurèle, un ancien ami qu’elle a connu au primaire et au collège, et qui se passionne pour les oiseaux, commence à sérieusement faire battre son cœur.
« Un si petit oiseau » est l’histoire d’une reconstruction, lente et réaliste. Abi a beau se montrer forte et déterminée, elle sent que sa féminité est diminuée, que les regards se posent sans concession, sur elle, sur son bras, que le jugement est parfois plus fort que tout le reste. Heureusement, elle porte en elle-même une rage de vivre et un élan, l’amour des livres, de la nature et des animaux, surtout des oiseaux. Après « Je suis ton soleil », Marie Pavlenko poursuit l’exploration de la période adolescente, de ses ressentis, de son attachement farouche à l’existence. Mais l’héroïne aurait pu être une adulte : ce qui fait sa force, c’est aussi sa personnalité hors du commun, et l’on s’y attache rapidement, irrémédiablement ; l’on comprend ses coups durs, ses blessures, ses angoisses. Enfin, il y a ce ton qui n’appartient qu’à l’auteur, cette tonalité humoristique et désopilante, et qui, même dans les moments les plus pessimistes, nous arrache un sourire, lumineux.