Capitaine Rosalie
Timothée de Fombelle

Gallimard Jeunesse
albums junior
octobre 2018
64 p.  12,90 €
 
 
 
 La rédaction l'a lu
coup de coeur

Les combats de l’enfance

Dans le village de Rosalie, la guerre semble loin. Les élèves continuent d’aller à l’école, écoutant sagement le maître. Pourtant, nous sommes à l’hiver 1917, et les combats font rage. Les hommes sont au front. Leur seul lien avec leur famille, épouses et enfants, ce sont ces lettres, poignantes, où ils tentent à la fois de tout dire et de ne rien révéler de l’horreur et des atrocités. Le père de Rosalie est parti depuis la mobilisation. Il n’est rentré que deux fois, deux permissions, et chaque fois, la petite fille de cinq ans et demi a eu l’impression de le perdre encore davantage. Sa mère travaille à l’usine et elle la dépose tous les jours à l’école des grands. Alors, au fond de la classe, abritée sous les portemanteaux, la fillette mène sa propre bataille : elle prépare quelque chose de secret. Qu’on l’envoie chercher du charbon, qu’on la laisse recopier ce qu’elle désire dans son carnet dont elle ne se sépare jamais, elle reste un soldat en mission, en embuscade… pendant que tous pensent qu’elle ne fait rien.

La croirez-vous ? C’est la question essentielle que nous pose Timothée de Fombelle dans cet album délicat. L’enfant, lui, croira Rosalie, sans faille, même si le plan de l’héroïne est mystérieux, voire impénétrable. L’adulte, lui, s’amusera – autant qu’il peut le faire dans un contexte de guerre – de cette idée fixe, de ce fil rouge qui permet à la petite fille de traverser l’hiver et la réalité terrible, avec vivacité. En effet, malgré la guerre, elle ne cesse de s’émerveiller : la neige au matin, un anniversaire, le visage fragile de sa mère… Il pensera sûrement, et c’est ce que j’ai cru au départ, que la fiction permettait à l’enfant de se protéger, de se confectionner un cocon. Je la croyais inatteignable, Rosalie. Et c’est tout le contraire, puisque la mission qu’elle préparait, dépassait le stade du jeu. Elle veut paradoxalement, plonger toute entière dans la vérité des mots, ceux qui laissent des traces sur le corps de sa mère, qui modifient son regard et son comportement, et qui l’empêchent de se confier à sa fille unique.

« Capitaine Rosalie » est un livre sur la guerre, mais pas seulement. L’auteur nous interroge sur la vérité, sur le sens qu’on lui donne, et sur celle qu’on dit aux enfants, ou non, comme s’ils n’étaient pas en mesure de l’affronter et de la digérer. Au bout d’un moment, l’héroïne n’écoute plus sa mère, le soir, lui lire les lettres de son père au front ; et elle a raison, puisque l’on découvre qu’en voulant protéger Rosalie, elle brode un récit imaginaire fait de parties de pêche et de ruisseau, auquel la fillette ne croit plus tellement. Les illustrations au crayon font toujours ressortir la sacoche rouge de Rosalie, et surtout ses cheveux roux, flamboyants sous son petit béret noir de jais : elles permettent de faire ressortir la puissance du texte. L’héroïne, une fillette comme les autres, semble être le symbole d’une enfance non résignée, qui mène d’intenses combats, attendant le moment ultime pour nous étonner.

 

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