Claire Keegan, étoile montante de la scène littéraire irlandaise contemporaine, fait partie de mes auteurs fétiches. Sont parus en France « L’Antarctique », un premier recueil de nouvelles, « Les Trois lumières », court roman, chef-d’œuvre de finesse et de beauté, enfin ces huit nouvelles de notre temps où c’est la nature indomptable qui dicte aux hommes leur destin. Les personnages de Claire Keegan sont des âmes errantes, comme celles qui peuplent les forêts et les légendes de son pays. L’évocation vivace des traditions donne une saveur originale aux thématiques les plus modernes (place de la femme dans la famille, homosexualité), comme aux plus atemporelles (amours contrariées, relations entre parents et enfants). Ils sont nombreux sur les rivages, à rêver de recommencement et de guérison : une femme en mal d’inspiration dans une résidence d’écrivain, une jeune fille abusée par son père et s’apprêtant à fuir de l’autre côté de l’océan, ou l’inoubliable héroïne de « La nuit des sorbiers » qui aspire à un ailleurs propice pour elle et son enfant… Ce pays est habité par des femmes au caractère bien trempé, un peu sorcières, telle Martha, dans « La Fille du forestier », qui sait le pouvoir des histoires captivantes. Ces héroïnes attachent des symboles aux poules, aux chevaux, aux chiens, aux oiseaux. Ici, sans animaux pas de femmes, et sans femmes pas d’hommes. L’ordre naturel est implacable : quand il est transgressé, il existe toujours un remède, parfois l’aide de quelque pouvoir ou allié obscur : un Chinois chaman qui répond aux questions existentielles d’un prêtre en crise de foi ; une gitane diseuse de bonne aventure qui trace le chemin d’un avenir en perdition… Chaque personnage doit trouver sa place dans la vie avec l’autre, et cette difficulté à faire cohabiter désirs et rêves de solitude éprouve les êtres mais les rend aussi plus forts. La lande sauvage est le cadre des histoires, avec la mer tout autour dont on entend le ressac presque à chaque page, et dans laquelle les héros s’immergent, au risque parfois de s’y noyer, mais qui ne risque rien n’a rien, comme ce brigadier solitaire et amoureux qui part rejoindre sa fiancée dans la belle nouvelle « Renoncement ». On suit l’auteure là où elle nous entraîne, à travers les champs bleus que la lumière inonde, envoûté par ces nouvelles dont la fin est toujours un recommencement, le début d’une autre histoire.