Lorsqu’il y a du vent, les vagues mesurent plusieurs mètres de haut, et lorsqu’elles atteignent le premier étage des maisons les plus proches du rivage, cela ne dure que quelques instants. Ce sont ces instants qui ouvrent le livre, fondateurs car, imagine la narratrice, c’est précisément à ce moment-là que son arrière grand-mère eut le coup de foudre pour Saint-Pair, villégiature familiale sur la côte normande.
À l’origine, il y a un secret de famille, découvert par Julie Wolkenstein à la mort de son père. Mais elle est surtout fascinée par le destin d’une arrière grand-mère méconnue avec qui elle se trouve d’étranges affinités: une forme d’indépendance, un sentiment d’illégitimité au sein de sa propre famille, des insomnies, et surtout la passion de Saint Pair.
L’auteur écrit la chronique d’une enquête, mettant en perspective la vie d’Adèle et la sienne deux siècles plus tard, interrogeant la mémoire et la transmission. Le livre devient une saga familiale, commence à la fin du XIXe siècle à la naissance d’Adèle pour se terminer de nos jours auprès de son arrière petite fille qui, comme son aïeule, puise son inspiration et ses forces au sein de la maison de famille.
Mais l’histoire a des angles morts, l’impossibilité de la restituer incite à inventer. Les pistes se brouillent, ce que l’on croit vécu ne l’est pas, ce qui paraît fictif sonne profondément juste. Si les personnages ont existé, leur incarnation est imaginaire, et ils finissent par nous hanter. Le romanesque l’emporte sur l’autofiction. Avec Adèle, nous traversons le temps, admirons le courage et l’obstination d’une femme qui s’est mariée par amour, a connu des guerres, des deuils, des chagrins et des joies ; d’une mère qui s’ennuyait lors des goûters d’enfants et qui, des années plus tard, mettra la même détermination à retrouver les membres épars du cadavre de son fils qu’elle en avait à rechercher dans la pile de déguisements, les vêtement égarés pendant les anniversaires.
Nous la quittons sur des extraits de son « faux » journal, lorsque sage et vieillie, elle évoque sa vie à travers les chambres où elle a dormi. Entre celles de La Saigue et de La Croix Saint-Gaud., les deux maisons miroirs de Saint Pair, il y a la pièce dans laquelle Julie Wolkenstein termine ces pages, devant la plage déserte, et immuable, balayée par le vent et les vagues déchainées qui avaient effrayé Adèle autant qu’irrémédiablement attiré. Vagues obsédantes et envoûtantes. Comme la chanson d’Adèle Sur le pont du nord, refrain lancinant d’un destin à la fois heureux et tragique. Mais, « Que disait le bulletin météo à sa descente du train : « ah oui, une impression de soleil l’emportera. »