C'est dimanche et je n'y suis pour rien
Carole Fives

Folio
janvier 2015
160 p.  6,30 €
ebook avec DRM 5,99 €
 
 
 
 La rédaction l'a lu

A la recherche d’un fantôme

J’ai connu Carole Fives au salon du livre de Bordeaux en 2010. Elle venait d’écrire « Quand nous serons heureux » (Le Passage) et je modérais une table ronde à laquelle elle participait. J’avais trouvé son petit livre touchant, riche de promesses. J’étais enceinte mais hormis le futur papa et quelques très proches, personne ne le savait. J’avais traversé ce salon en portant mon secret en moi ; et puis le matin du dernier jour, retrouvant par hasard Caroles Fives dans la salle du petit-déjeuner, nous nous étions assises à la même table, je lui avais confié mon ventre caverne, mes entrailles nourricières. Je lui avais aussi parlé de mon livre sur ces femmes et ces hommes qui veulent à tout prix ne pas faire d’enfant. Elle m’avait dit qu’en fin de compte, elle faisait peut-être partie de cette famille-là. Elle avait bientôt 40 ans, elle n’était sûre de rien, ne jurait pas qu’elle n’en aurait pas, mais se disait qu’elle n’était pas faite pour cela. La maternité.

Toutes les femmes ne sont pas destinées à être mères. L’instinct maternel l’avait laissée tranquille. Elle s’était réjouie pour moi, mais tout cela ne la concernait pas.

Et pourtant.

Presque cinq plus tard, la revoilà croisant mon chemin : avec ce livre et son enfant. Le secret, elle l’évente, dès la dédicace « A mon fils », petit message discret qui en dit long sur la suite. Les deux sont intensément liés. Dans son roman, la narratrice, Léonore, n’a ni enfant, ni mari. Quand on lui demande si elle a quelqu’un, elle esquive, répond vaguement, ne sait plus elle-même. Pourtant un homme l’aime, tous deux se voient, vivent des moments doux, parfois drôles, souvent tristes. Elle ne veut pas d’attache, refuse les carcans : elle est peintre, une artiste dans l’âme devenue par dépit professeur de dessin. La vérité c’est que le cœur de Léonore n’est pas libre. L’homme de sa vie est mort il y a plus de vingt ans : elle en avait 15, lui 19. Une jeunesse fauchée sur la route des vacances, en pleine ascension des sentiments. L’interdiction qu’on lui fit alors de dire adieu à son amour, a rendu son deuil impossible. Dès lors, comment espérer aimer à nouveau, un jour ? Le fantôme du Premier homme plane au-dessus de ses tentatives amoureuses vouées à l’échec. A l’aube de son quarantième anniversaire, elle décide enfin d’affronter le passé, achète un billet pour Porto et part à la rencontre de la famille de son adoré.

Le livre est le récit au quotidien de ce voyage, à la fois temporel, géographique et psychologique. Léonore actionne la machine à remonter le temps. Quand elle part en quête de ces gens qu’elle n’a pas connus, elle cherche tout autant, si ce n’est davantage, les racines de son mal. Qui est-elle ? Que veut-elle ?

« C’est dimanche et je n’y suis pour rien » est rempli d’une impérieuse nécessité ; Léonore est pressée pas le temps, elle sent pour la première fois de sa vie d’adulte qu’il lui faut trouver des réponses avant qu’il ne soit trop tard ! Quelle limite ? L’horloge est évidemment biologique, la quête d’une maternité enfouie et refoulée étant le déclencheur de ce voyage.

En parallèle de son roman d’apprentissage, ce roman de l’adolescence, Carole Fives brosse aussi le portrait d’une génération d’émigrés, à travers l’exemple de la famille de José, qui à l’instar de centaines d’autres Portugais ont cherché une vie meilleure en France. Ce qu’elle découvre n’a pas la douceur du vin qu’on lui offre, mais l’âpreté d’un raisin cueilli trop jeune : car la désillusion était grande pour les candidats à l’exil.

Toujours fidèle à sa signature, celle d’une écriture simple, mais jamais simpliste, Carole Five démontre qu’un auteur peut dire beaucoup sans en faire des tonnes. Sa sensibilité affleure à travers les lignes, son style dépouillé accueille néanmoins de nombreuses descriptions des lieux, comme si son héroïne avait besoin de ce topos pour s’ancrer dans la réalité et échapper aux mirages du passé.

Léonore se débat. Elle trouvera la paix dans ce retour à la mer. Baignée, immergée dans les eaux froides de l’Atlantique, elle en sortira apaisée. Mais qu’aura-t-elle découvert avant ? Quels secrets devra-t-elle comprendre ?

La romancière fait dire au poète et ami d’enfance de Léonore que « l’enjeu, c’est de retrouver une voix d’enfant, une voix enfouie » ; Carole Fives semble avoir regagné la sienne, au bout de vingt-cinq ans. « Voilà, ça m’a tout juste pris vingt-cinq ans ». L’essentiel est au bout du chemin.

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coup de coeur

Les morts ont-ils nécessairement quelque chose à nous dire ?

Léonore, quarantenaire, vit dans le souvenir de José Oliveira, qu’elle a aimé et qui est mort presque en même temps dans un accident de la route vingt-cinq ans plus tôt. Elle reste à jamais « la fille du dernier soir » et cela lui va bien. Elle se complaît dans cette condition de veuve qu’elle s’est imposée, ce veuvage qui, avec le poids de ce secret trop grave pour être partagé, l’empêche d’aimer à nouveau.
Peintre, Léonore a veillé à ne plus avoir de peintres parmi ses amis, personne qui lui renvoie qu’il est possible de s’obstiner là où elle a abdiqué ; son compagnon aimerait une famille mais Léonore a peur des enfants, « comme de tout ce qui bouge, tout ce qui vit ».

Il a fallu ces vingt-cinq années pour qu’elle se sente prête à refermer les portes du passé. Léonore s’envole pour Porto, le nord du Sud du Portugal, l’un de ces pays où « les morts sont bien plus importants que les vivants ». Mais le voyage suffira-t-il à faire s’écrouler les digues que Léonore a érigées autour d’elle, et que le temps a rendues si solides ? Comment revenir à la vie après tant d’années passées dans la mort ?

Carole Fives dépeint une narratrice qui se rêve héroïne de films, préférant la réalité qu’on fabrique à celle qui s’impose. Au Portugal, Léonore envisage un temps de rester, histoire « d’essayer une autre vie ». Mais ce n’est pas ainsi que fonctionne l’existence, pas ainsi que l’on peut réparer la sienne.

En toile de fond, le roman brosse aussi le portrait de « ceux qui sont partis », Portugais de France ou Français du Portugal, étrangers partout, chez eux nulle part, et donc personne, pour qui il n’est pas question d’avouer que le nouveau pays ne ressemble en rien à l’Eldorado prévu.

Les morts ont-ils nécessairement quelque chose à nous dire ? Que devient le souvenir d’un être dont on ne peut parler avec personne, dont on ne peut raviver la présence avec personne ?
« C’est dimanche et je n’y suis pour rien » est un texte bref et sensible, servi par une écriture douce, toujours sur le fil. On avance avec Léonore dans cette quête dont on ignore l’issue mais dont on sait comme elle qu’elle bouleversera à jamais le cours de choses.
Un roman qui sonne juste, qui marque et qui interroge.
Il est si facile de trouver où il n’y en a pas une raison de ne pas vivre pleinement…

Retrouvez Sophie Adriansen sur son blog

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