Ce que j'ai oublié de te dire
Joyce Carol Oates

Le Livre de Poche
jeunesse
janvier 2014
336 p.  7,70 €
 
 
 
 La rédaction l'a lu

Grandir sans désespérer.

Joyce Carol Oates excelle dans les portraits de femmes du milieu WASP américain. Parfois ses héroïnes nous agacent, souvent nous nous retrouvons dans leurs défaillances. Dans ce roman pour adolescents, l’auteure campe des jeunes filles d’aujourd’hui, entre assurance et perplexité devant un monde adulte vacillant.

Dans un lycée du New Jersey, un événement tragique s’est produit : une élève s’est suicidée. Pour les amies de Tink, les raisons de son geste restent inexplicables et taboues. L’action du roman débute après ce drame et quelques mois avant la fin du secondaire, lorsque les avenirs se dessinent, les palmarès et les tableaux d’honneur s’ajustent. Les terminales doivent choisir une voie universitaire, s’apprêtent à sortir du cocon du lycée pour se lancer dans la vie « adulte ». Merissa est l’une d’entre elles : élève brillante qui cumule avec succès les activités extra-scolaires, elle vient d’être admissible dans l’une des prestigieuses universités de l’Ivy League. Merissa et Nadia faisaient partie du cercle fermé des copines de « Tink and Co », groupe de cinq filles devenues amies avec cette fille rousse aux yeux verts qui fit irruption dans leur vie en milieu d’année scolaire, mystérieuse, différente, insolente et moqueuse. L’excellence ne préserve pas Merissa du divorce de ses parents, pas plus que la naïveté et la recherche éperdue d’attention de Nadia ne la protègent contre les coups bas et les trahisons de ses camarades. Au moment où il s’agit de se forger une personnalité, l’ombre de Tink plane, avec ses façons brusques et ses allures de chat sauvage, sa part d’ombre et son indéfectible fidélité. Tink leur a fait voir le monde autrement, en prenant ses distances et en valorisant les différences. Elle leur a montré la voie de la véritable amitié, rempart contre l’injustice et l’incompréhension des adultes, mais qui doit aussi être discrète et pudique, et ne pas s’immiscer dans la vie des autres, au risque de se perdre.
A l’ère de la communication par textos, ces adolescentes donnent facilement le change, mais leur fragilité et leurs secrets les trahissent souvent à l’intérieur du groupe qui dicte ses lois et induit l’identification, la recherche de la perfection physique et intellectuelle, l’identité des codes vestimentaires et comportementaux. Elles sont tiraillées entre un idéal de pureté et la modification inéluctable de leur corps, entre leurs désirs d’éveil et la difficulté de s’affirmer, entre la nostalgie de l’enfance insouciante et la vie des adultes qui les déçoit. Ce que montre Joyce Carol Oates, c’est aussi et surtout l’envers du décor : ces jeunes filles qui se composent une personnalité à l’école se démènent pour exister au sein de familles qui se fissurent, jusqu’à adopter des conduites borderline, désarmées devant les problèmes de couple de leurs parents, et seules face à des figures maternelles absentes, dépendantes des médicaments, de l’alcool, ou obnubilées par leur apparence.

L’auteure de Blonde n’en a pas fini de sonder les profondeurs de l’âme des femmes en devenir, qui apprennent de plus en plus tôt à conquérir leur indépendance, à transiger avec leurs idéaux, mais sont toujours plus fortes qu’on ne le croit.

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