De Manuel Vazquez Montalban à Arturo Perez-Reverte, l’Espagne a toujours couvé des auteurs sachant enraciner le polar dans leur culture, et mêler leur ambition littéraire à un regard singulier sur la société. A la suite de ces maîtres, d’autres portent le flambeau, tel Victor del Arbol récemment, ou Rafael Reig aujourd’hui, essayiste et critique littéraire dont le premier roman, “Ce qui n’est pas écrit”, apporte de belles promesses.
En un chapitre à peine, on est au coeur du malaise qui ronge son trio infernal : Carlos et Carmen, un couple de Madrilènes divorcés, mal remis du naufrage de leur mariage, et leur fils Jorge, ado mal dans sa peau, que sa mère élève seule. Ce week-end-là, le père emmène le fils pour une randonnée en montagne, laissant à son ex-épouse le manuscrit de son premier livre. A mesure qu’elle va lire – et nous avec elle – ce texte accouché au pire de leur crise, Carmen voudra y voir les prémices d’un drame.
Dans ce récit à trois niveau, où les extraits du livre de Carlos alternent avec le monologue intérieur de Carmen et le tête à tête père-fils, Rafel Reig brouille sans cesse les pistes. Chacun des trois personnages principaux est-il bien tel que les deux autres le perçoivent ? La fiction qui s’immisce dans l’intrigue, polar violent et baroque que Carlos a mis des années à accoucher, vient ébranler la routine et les certitudes de Carmen. Entre les sautes de tension et les ruptures de ton, cette guerilla psychologique familiale tient en haleine jusqu’à son final renversant.
Sous son sourire malicieux et sa moustache gourmande, Rafael Reig trompe son monde. Faussement bonhomme, il signe une fable dérangeante sur le poison du soupçon et de la culpabilité. Après avoir enseigné la littérature et dispensé des cours d’écriture créative, ce bourlingueur qui a déménagé une cinquantaine de fois, via la Colombie et les Etats-Unis, s’est enfin posé à Madrid pour ouvrir une librairie. Un choix judicieux, car cette nouvelle vie lui laisse le temps de travailler à d’autres romans.