En cette glaciale matinée de février 1945, la haute aristocratie française enterre l’une des siennes, Natalie de Sorrente. Au premier rang, éplorés, le duc, son époux, leur fille Charlotte, tous deux à la flamboyante chevelure et le petit Joachim, le visage blême sous une tignasse sombre. Mais qui était cette jeune reine de Paris, autant désirée par les hommes que jalousée par les femmes, celle qui était à tu et à toi avec Charles et Marie Laure de Noailles, Jean-Louis et Baba de Faucigny Lucinge, Charles de Beistegui, Paul et Hélène Morand ou encore l’amusant Bérard, et que la mort a cueillie à juste 37 ans ?
Retour en arrière. 14 Juin 1940 à l’aube, les Allemands pénètrent dans une capitale silencieuse et déserte. Ses habitants ont fui et avec eux ce petit microcosme qui s’est installé dans le Sud. A Cannes, les Sorrente tentent de reprendre cette existence de fêtes où l’on s’étourdit, où l’on pratique « le small talk » à défaut de ragoter. Natalie s’y ennuie à périr. Qu’importe que le pays soit à terre, qu’il ait confié les rênes du pouvoir à un vieillard de 84 ans, que l’on persécute les juifs : « Ne l’auraient pas bien cherché ceux-là » , «les juifs, on ne sait pas très bien ce que c’est ». Et puis « la collaboration est une chance, le bolchevisme, voilà l’ennemi commun. » Heureusement le champagne continue à couler, les papilles se régalent de caviar et parfois à la faveur d’une étreinte naît un petit garçon, aussi brun que sa sœur est rousse. « Ce sont des choses qui arrivent ».
Le mensonge « dans l’air du temps » un jour explose et la révélation de sa filiation fait basculer le destin de Natalie. Elle n’est pas la fille du prince de Lusignan et soudain le terme de bâtard plane au-dessus de la maison des Sorrente. « Ce sont des choses qui arrivent. » Dans ces conditions, la fin ne peut être que tragique.
Pauline Dreyfus dresse un tableau ravageur de cette société où la naissance et sa nécessaire alliée, la fortune, étaient tout. Corsetés dans leurs certitudes et leurs préjugés, ces « heureux du monde » n’entendaient jamais « être à côté » et toute mésalliance équivalait à un ostracisme sans appel.
De ce monde, Pauline Dreyfus semble n’ignorer aucun de ses us et coutumes, et sa peinture frappe avec une totale justesse. En filigrane, apparaissent l’antisémitisme et les problèmes de filiation. Une documentation parfaite, une plume que ne renierait pas un Paul Morand, « Ce sont des choses qui arrivent » est aussi impeccable qu’implacable. En contrepoint, Natalie de Sorrente s’apparente plus à une silhouette qu’à un personnage de chair et de sang. Elle traverse la vie telle une somnambule. A moins que ce ne soit le moyen pour l’auteur de montrer qu’en dehors de ses tics de classe, elle n’a pas de réelle existence.