Il aura fallu beaucoup de temps et d’abnégation à Louise Erdrich pour commuer sa colère en une oeuvre littéraire récompensée par le National Book Award 2012. Née d’un père germano-américain et d’une mère ojibwa, élevée dans une réserve du Dakota du Nord, l’auteure s’est appuyée sur une donnée accablante pour son dernier roman, selon laquelle une Amérindienne sur trois serait victime d’un viol au cours de sa vie, d’après Amnesty International. Si le récit, porté par la voix d’un adolescent de treize ans dont la mère a été agressée, s’ouvre sur ce terrible fait divers, il ne s’apparente néanmoins jamais à un manifeste féministe ni à un texte militant : sa force narrative emporte le lecteur et fait de lui l’un des habitants de la réserve où vivent Joe et ses parents, presque l’un des membres de la famille.
Devenu adulte, Joe se remémore ce dimanche après-midi qui sonna le glas de son enfance, et les événements qui s’ensuivirent. Sauvagement agressée, sa mère, autrefois pleine de vie, refuse de quitter sa chambre et s’enfonce dans le mutisme. Devant l’impéritie d’une justice à deux vitesses -celle des Blancs et celle des Indiens-, Joe choisit de mener une double enquête, d’une part avec son père, agent des affaires indiennes, en épluchant ses dossiers, d’autre part avec ses amis, sur le terrain. A force de patience et d’amour, le jeune garçon parvient à redonner espoir à sa mère qui dévoile l’identité de son agresseur. Une faille juridique empêche néanmoins son arrestation, et Joe comprend qu’une fois de plus il lui faudra agir seul pour sauver sa famille.
Roman protéiforme où chaque mot trouve sa place, d’une sensibilité à fleur de peau, « Dans le silence du vent » conjugue avec brio les différentes sphères de la vie intime d’un adolescent qu’un malheur fait basculer dans l’âge adulte : l’opposition au père, l’indéfectible amitié qui le lie à sa bande de copains, les premiers émois amoureux, sa place dans la société en tant qu’Amérindien… Même si ce malheur constitue le fil rouge de l’histoire, on le perd parfois de vue pour savourer les baignades, les repas de famille, les virées en vélo et toutes les situations cocasses et drôlissimes dans lesquelles s’empêtrent Joe et ses camarades. La manière dont l’auteur inscrit la géographie de cette réserve indienne, entre chamanisme et réalité, dans notre propre imaginaire, impressionne, et l’on se sent concerné, comme cette famille, comme un membre de cette communauté, par l’injustice dont les populations indiennes sont victimes. Point de misérabilisme pour autant, mais le partage généreux d’une culture fière de ses rites, de ses traditions et de son passé.