Dans le silence du vent
Louise Erdrich

Traduit par Isabelle Reinharez
Le Livre de Poche
août 2013
504 p.  8,40 €
 
 
 
 La rédaction l'a lu

Le fruit de la colère

Il aura fallu beaucoup de temps et d’abnégation à Louise Erdrich pour commuer sa colère en une oeuvre littéraire récompensée par le National Book Award 2012. Née d’un père germano-américain et d’une mère ojibwa, élevée dans une réserve du Dakota du Nord, l’auteure s’est appuyée sur une donnée accablante pour son dernier roman, selon laquelle une Amérindienne sur trois serait victime d’un viol au cours de sa vie, d’après Amnesty International. Si le récit, porté par la voix d’un adolescent de treize ans dont la mère a été agressée, s’ouvre sur ce terrible fait divers, il ne s’apparente néanmoins jamais à un manifeste féministe ni à un texte militant : sa force narrative  emporte le lecteur et fait de lui l’un des habitants de la réserve où vivent Joe et ses parents, presque l’un des membres de la famille.

Devenu adulte, Joe se remémore ce dimanche après-midi qui sonna le glas de son enfance, et les événements qui s’ensuivirent. Sauvagement agressée, sa mère, autrefois pleine de vie, refuse de quitter sa chambre et s’enfonce dans le mutisme. Devant l’impéritie d’une justice à deux vitesses -celle des Blancs et celle des Indiens-, Joe choisit de mener une double enquête, d’une part avec son père, agent des affaires indiennes, en épluchant ses dossiers, d’autre part avec ses amis, sur le terrain. A force de patience et d’amour, le jeune garçon parvient à redonner espoir à sa mère qui dévoile l’identité de son agresseur. Une faille juridique empêche néanmoins son arrestation, et Joe comprend qu’une fois de plus il lui faudra agir seul pour sauver sa famille.

Roman protéiforme où chaque mot trouve sa place, d’une sensibilité à fleur de peau, « Dans le silence du vent » conjugue avec brio les différentes sphères de la vie intime d’un adolescent qu’un malheur fait basculer dans l’âge adulte : l’opposition au père, l’indéfectible amitié qui le lie à sa bande de copains, les premiers émois amoureux, sa place dans la société en tant qu’Amérindien… Même si ce malheur constitue le fil rouge de l’histoire, on le perd parfois de vue pour savourer les baignades, les repas de famille, les virées en vélo et toutes les situations cocasses et drôlissimes dans lesquelles s’empêtrent Joe et ses camarades. La manière dont l’auteur inscrit la géographie de cette réserve indienne, entre chamanisme et réalité, dans notre propre imaginaire, impressionne, et l’on se sent concerné, comme cette famille, comme un membre de cette communauté, par l’injustice dont les populations indiennes sont victimes. Point de misérabilisme pour autant, mais le partage généreux d’une culture fière de ses rites, de ses traditions et de son passé.

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coup de coeur

La revanche sur le passé.

Louise Erdrich est aux Indiens d’Amérique ce que Toni Morrison est à la cause noire : une grande voix qui narre les histoires de son peuple blessé, pillé, lésé. Son dernier roman, Dans le souffle du vent, a reçu le National Book Award. Il raconte l’histoire et la métamorphose d’un adolescent amérindien dont la mère a été violée.

Nous sommes dans une réserve du Dakota, en 1988 : l’homme qui se souvient et qui raconte son histoire avait treize ans lors cet été où tout a basculé. Jusque-là, Joe vivait avec ses parents une existence bourgeoise et paisible, s’accommodant du mélange de ses racines indiennes et de la culture blanche. Le père, Antone Coutts, est juge au tribunal tribal, et sa femme Geraldine est généalogiste. Joe est un enfant insouciant et sans histoires jusqu’à ce que sa mère soit agressée, violée sur leur territoire. Passés les premiers moments de stupéfaction, d’incompréhension et de chagrin, la famille doit apprendre à vivre avec cette blessure qui les a tous changés à jamais.
La justice n’est pas très efficace pour les Amérindiens, et la famille Coutts en fait l’amère expérience ; c’est pourquoi le père et son fils reprennent l’enquête après l’échec de la police à arrêter un suspect. Joe en fait peu à peu une affaire personnelle et se met à la poursuite de l’agresseur de sa mère, cherchant des indices, traquant de faux suspects, pistant de possibles témoins avec l’aide de ses copains. Révolté, il prend conscience que la justice n’est pas la même pour tous, qu’elle est partiale, et que des crimes peuvent rester impunis par la faute de lois trop indulgentes envers les Blancs. Joe cherche donc à se faire justice lui-même, résolu à venger sa mère au fur et à mesure qu’apparaissent les preuves de l’identité du supposé coupable.
Ce roman aux allures de polar pose aussi la douloureuse question identitaire des Amérindiens. Leur monde n’est pas cloisonné ni protégé, les fondations de sa culture sont fendillées tous les jours un peu plus. Indiens et Blancs se côtoient aux limites d’une frontière poreuse et imaginaire, qui laisse filtrer les biens et les personnes dans un métissage plus ou moins accepté. Les territoires sont à l’image de la société, où le mal, l’envie, la jalousie et l’amour ont aussi droit de cité, engendrant un monde d’où le manichéisme est absent. Louise Erdrich montre les difficultés de ces communautés survivantes, décimées par l’alcool et le mépris, mais aussi farouchement attachées à leurs coutumes ancestrales. Au fil du temps, les sangs se sont mêlés, celui des coupables et celui des innocents aussi, et l’individuation est vécue avec acuité par le héros adolescent qui est aussi à la recherche de la sienne.

Louise Erdrich retrace dans ce roman haletant les péripéties d’une enquête menée tambour battant par un enfant qui devient trop vite un homme au contact d’une réalité brutale, cognant ses idées reçues contre les parois d’une vérité complexe qui entremêle les sangs, les terres et les passions. Il s’agit pour Joe devenu adulte de raconter pour ne pas oublier, et de reconstruire un passé aussi exact que possible, avec toutes ses anfractuosités. Louise Erdrich porte avec talent la voix d’un enfant aux sommets d’une histoire universelle, afin que jamais les injustices de son peuple ne soient emportées par le souffle du vent.

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