Il y a quelque avantage à lire, avec un certain retard sur les critiques professionnels, des livres qui ont occupé les devants de la scène, un ou deux ans auparavant, et auxquels la publication en poche redonne une nouvelle chance. La première est de se libérer de la pression exercée par la rentrée littéraire, de l’obligation dans laquelle on se croit être de lire les livres dont on parle, les livres dont on dit qu’il faut absolument les lire. La deuxième est qu’on a complètement oublié les commentaires, élogieux ou non, qui les ont accompagnés et qu’on a, du même coup, l’esprit très peu encombré d’a priori.
C’est ce qui m’est arrivé, cet été, avec le livre de Sylvain Tesson, Dans les forêts de Sibérie. Je pensais qu’il serait une lecture en harmonie avec l’été pourri que nous vivions. Malheureusement, ma provision de vodka s’est révélée bien trop mesquine pour accompagner (et supporter) les libations quotidiennes de l’auteur et de ses rencontres. Le propos de Tesson, ‘romancier aventurier’, comme il se définit lui-même, est de tenir journal d’une expérience extrême qu’il mène, dans une cabane en bois, sur les bords du lac Baïkal, durant six mois : trois mois d’hiver durant lesquels le thermomètre oscille entre -30 et -35 degrés, suivis de trois mois de printemps où, très lentement, le lac et la nature se libèrent de la glace et de la neige qui les avaient si longtemps tenus captifs. Solitude complète – les premiers voisins sont à quelques journées de raquettes – que l’on ne peut vaincre qu’en suivant un emploi du temps totalement ritualisé – solitude que Tesson ne surmonte que grâce aux deux chiens dont on lui a fait présent.
Tout ce qui est description de la nature, des quelques êtres vivants, animaux ou humains, qui l’habitent, des mille nuances de la lumière sur la neige ; des petits gestes quotidiens nécessaires à la survie, la pêche, la provision de bois, les essais de cuisine – tout cela est excellent et replonge le lecteur dans les souvenirs de ses lectures de London ou de Curwood.
J’aurais, personnellement préféré que Tesson s’en tînt là . Mais il est parti avec une caisse de livres,( il ne les a d’ailleurs même pas tous choisis lui-même) pour meubler les heures creuses et il y en a quelques unes. Les bouquins qu’il lit lui inspirent des remarques qui ne sont pas d’une très grande originalité, cela fait un peu devoir de vacances, on sent trop qu’il se presse les méninges que la vodka a bien imbibées pour en sortir des idées de haute volée – le résultat n’est pas toujours convaincant.
La fin sonne plus vrai – il reçoit un texto – vive la technologie ! – de sa compagne qui lui apprend qu’elle en a marre de jouer les femmes de marins et qu’elle reprend sa liberté. Les pages où l’auteur est sauvé du désespoir par la chaleur animale et compatissante de ses chiens sont bien venues.
Ce livre a reçu le Prix Médicis Essais 2011.
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