La rédaction l'a lu
Grégoire Delacourt sait écrire aux femmesCommençons par l’essentiel : j’ai adoré le cinquième roman de Grégoire Delacourt. Et si le mot n’était pas démonétisé, à force d’être trop employé, je n’aurais pas peur de dire qu’il m’a bouleversée. Au sens physique du terme : il m’a troublée profondément, a causé en moi une émotion violente, et même fait pleurer. Pourquoi ? Peut-être parce qu’il raconte l’histoire d’une femme de 40 ans, Emma, qui envoie tout promener, valser, devrait-on dire pour filer la métaphore de la danse présente dans le titre. Plus sûrement parce que Grégoire Delacourt n’a pas son pareil pour se mettre dans la peau des femmes. Il le fait bien, et il aime ça. A moins que cela ne soit parce qu’il aime ça, qu’il le fasse si bien. De son propre aveu, il a eu envie de retrouver l’ivresse d’être une femme, qu’il avait découverte avec « La liste de mes envies », paru en 2012. Pas étonnant, donc si son roman s’avère enivrant. Le besoin de se sentir vivante Je me surprends à penser que Grégoire Delacourt sait écrire aux femmes, comme on dit d’un séducteur qu’il sait parler aux femmes. Rares sont les écrivains qui le font avec autant de justesse (Serge Joncour fait partie de ceux là aussi). Evidemment, l’écriture n’a pas de sexe, mais il n’empêche, lorsqu’on lit le dernier roman de Grégoire Delacourt, on a l’impression qu’il est « une » des nôtres. Parce qu’il sait lire en nous, dans nos têtes, nos cœurs et nos corps, aussi. Il nous devine toujours, sans nous trahir jamais. Il connaît les mots capables de traduire le plaisir vertigineux qu’il y a à se sentir désirante et désirée, et parvient à décrire ce besoin indicible de se sentir vivante. Il dépeint avec force l’urgence du désir, sa puissance vitale, sa violence qui submerge comme une vague. Grégoire Delacourt a compris que les femmes refusent de choisir entre le plaisir charnel et l’amour maternel. Et il leur donne le droit de vouloir les deux. Tout envoyer valser Emma ose quitter son mari Olivier (qu’elle aime pourtant) et ses trois enfants (qu’elle chérit plus que tout au monde). Elle part pour un homme qu’elle connaît à peine, rencontré dans une brasserie, un jour à midi. Cette femme qui envoie tout valser, pour danser au bord de l’abîme, c’est lui. Partir, laisser derrière lui les êtres qu’il aime, Delacourt l’a fait. Il a planté son décor dans un milieu qu’il connaît bien. Celui de la coquette bourgeoisie lilloise, qui vit à Bondues, au domaine de la Vigne, dans des maisons cossues, ouvertes sur le golf, avec de vastes salons et des tables basses en verre, où trônent des cendriers Hermès et des livres d’art que personne n’ouvre. C’est à tout cela : ce confort, ce bonheur sage et tranquille, qu’Emma renonce. « Les petits désirs ininflammables », très peu pour elle. Elle veut croire au vertige, à la foudre et nous entraîne dans un tourbillon. Grégoire Delacourt a choisi d’appeler son héroïne Emma, en hommage à Madame Bovary, avant de réaliser que ce prénom contenait phonétiquement le passé-simple du verbe aimer. Emma aima. Elle forme avec son mari et ses enfant « une famille heureuse », qu’elle va détruire. Elle n’avait « pas envie d’un amant, mais d’une ivresse ». C’est après coup, qu’elle nous raconte ce qui est arrivé. La confusion des sentimentes Voilà un livre poétique et délicat qui dépeint parfaitement la confusion des sentiments, dans ce qu’ils sont fondus, entremêlés les uns aux autres. Elle a beau quitter son mari, Emma ne l’abandonne pas, au contraire, elle va se battre avec et pour lui contre le cancer qui le ronge. Elle n’est pas du genre à ne plus aimer parce qu’elle aime quelqu’un d’autre. « Un nouvel amour n’est pas forcément contre le précédent », écrit Grégoire Delacourt. Il écoute les mots et dit des choses très belles: « Je crois que l’on trébuche amoureux à cause d’une part de vide en soi. Un espace imperceptible. Une faim jamais comblée. » La réussite du roman doit beaucoup à l’ histoire de la chèvre de Monsieur Seguin, qui s’entrecroise avec celle d’Emma. Pas étonnant que Grégoire Delacourt s’en empare. Edulcorée pour en faire un conte pour enfants, la lettre d’Alphonse Daudet constitue une ode au désir féminin. La chèvre aux petits sabots noirs et luisants, éprise de liberté, ne résiste pas à l’appel de la montagne, et s’enfuit par la fenêtre, même si elle sait qu’elle risque de se faire dévorer par le loup. Comme elle, Emma veut être ravie, au sens durassien du rapt.
Les internautes l'ont lu
Danser au bord de l’abîme
Après la lecture de 2 volumes de V.Despentes , et en sachant dans quel genre je m’embarquais avec G.Delacourt,( histoire de souffler un peu) , je me suis donc laissée aller dans une histoire pas toujours crédible.
coup de coeur
Un pas de danse bouleversant
L’auteur de La Liste de mes envies et des Quatre Saisons de l’été nous revient avec un roman qui devrait élargir encore davantage le cercle de ses lecteurs, car si sa plume est toujours aussi élégante, elle va cette fois chercher plus profondément les tourments de l’âme. À l’anecdote vient désormais s’ajouter la gravité, aux bonheurs de l’amour viennent désormais se mêler la douleur de l’absence et du deuil. |
|