Ce livre-là souffre d’un lourd handicap : il est sorti en librairie le 7 janvier. Pas plus ce jour-là que les suivants, tandis que les terroristes frappaient à Paris, on n’était prêt à suivre une fiction aussi noire, son auteur fût-il un maître du genre. Dans « Dieux de la pluie », il est question du massacre de prostituées asiatiques dans un coin désert du Texas, d’hommes de main effacant des vies avec froideur et détachement, d’un tueur à gages brouillant la frontière entre le Bien et le Mal, d’un shérif hésitant entre la loi et la vengeance… Cette violence imaginaire pouvait sembler indigeste, dérisoire, tandis que la réalité la dépassait en horreur.
A un autre moment, sans doute, on aurait mieux réalisé qu’un roman de James Lee Burke, sans forcément être son meilleur, est toujours plus riche et plus troublant que la moyenne des polars. Qu’à 78 ans, l’écrivain texan démontre toujours une rare intelligence des situations et des personnages. Qu’il sait donner de la profondeur et du sens à un schéma policier conventionnel en s’épargnant les stéréotypes. Ici, tous ses protagonistes principaux sont dans des impasses : stress post-traumatique pour le témoin de la tuerie, remord pour le tueur complice du carnage, culpabilité pour le proxénête associé au trafic de femmes, solitude pour le shérif confronté à ce panier de crabes.
La force de l’auteur est de ne jamais montrer un Mal absolu affontant un Bien sans taches. Sans jamais absoudre ses criminels ni minimiser leurs actes, il n’oublie jamais de montrer de quelle hérédité, de quelles blessures, de quelles tares ils sont les fruits. Il ne les rend ainsi pas moins inquiétants, mais certainement plus crédibles. Bons et méchants ont parfois bifurqué à un même croisement vers des directions opposées. Les uns parce qu’ils ont une conscience, des valeurs morales, une foi, une grâce… qui feront toujours défaut aux autres. James Lee Burke ne laisse jamais planer de suspense sur l’issue de leur affrontement, mais il soulève à chaque fois une question fondamentale : jusqu’à quels sacrifices, quelles souffrances, le camp du droit est-il prêt à aller pour l’emporter ? La seule question qui compte, que ce soit en littérature ou dans la vraie vie…