Bouffée d’oxygène et valse d’émotions garanties avec Dora la dingue, un livre qui fait se sentir en vie ! Enfin, pour peu que son enfant intérieur soit toujours là et que l’éternel(le) ado qui sommeille en vous soit prêt à accepter ce coup de poing cérébral autant que viscéral. Pour les parents, voyez ce texte comme un mode d’emploi pour mieux appréhender l’adolescence (et, surtout, pour vous rassurer : les vôtres sont à des années lumières des débordements et autres coups de folie de Dora !).
Cette gamine-là n’est pas d’ici, sa bande de potes non plus. Pas de cette société là, pas de notre univers… enfin, c’est ce que nous pouvons nous répéter comme un mantra afin de ne pas (trop) nous attacher à Dora, ado déjantée qui nous entraîne dans une déferlante délirante, quelque peu initiée par la prise d’amphétamines et autres produits hallucinogènes. Le tableau : son père est un type comme tant d’autres, qui trompe sa femme et délaisse sa fille ; le mari de la maîtresse (Mr K.) a tendance à tripoter Dora sans qu’aucun adulte ne trouve à y redire, tous aveuglés par leurs propres désarrois et libido. La mère de Dora est aux abonnés absents. Seul le psy, Sig (alias Sigmund Freud) tente d’aider la jeune fille. Enfin… jusqu’à ce que ses propres intérêts soient en jeu, car dès lors, déontologie professionnelle et probité intellectuelle voleront en éclats. Il faut dire, à la décharge de Sig, qu’imaginer que son travail puisse être adapté en show de téléréalité n’est pas facile à…avaler ! Que son rôle soit en plus interprété par un sexy Jung, plus charismatique que jamais, c’en est trop… Vous l’aurez compris, la trame de ce roman de Lidia Yuknavitch est authentiquement intelligente (les étudiants et autres pro du domaine psy y retrouveront à coup sûr les études de cas du Dr Freud). Les délires de Dora sont poussés à l’extrême par pulsion de vie autant que de survie. Pour le reste, c’est un bijou de drôlerie et d’irrévérence qui vous attend. Une histoire somme toute universelle, de fille plombée par des parents absents, bouleversée par les sentiments qu’elle porte à sa copine Obsidienne, consumée par une vision artistique fascinante (suscitant la jalousie d’adultes en panne d’imagination), revendiquant un féminisme absolu dans une société phallocratique. La tribu familiale « non biologique » de Dora est forcément hors cadre confortable, la mamy gâteau à pour nom Marlène, transsexuelle africaine au rire synonyme de vitalité, mentor qui l’initie à une autre culture (Francis Bacon, le plaisir et la souffrance en littérature). Oui, forcément, ça dérange parfois, ça se drogue un peu (piquant notamment dans les pharmacies des adultes), ça déconne pas mal, ça met à mal le monde adulte en revendiquant une identité adolescente évidente « MON corps, MON sexe, MON art, MES envies, MA féminité, MON point de vue » crie Dora… quand elle n’est pas aphone. Une voix inoubliable.