Eva
Simon Liberati

Le Livre de Poche

224 p.  7,10 €
ebook avec DRM 13,99 €
 
 
 
 La rédaction l'a lu

La petite fée du Palace

Quand deux rescapés se rencontrent, ils se reconnaissent. Avec le risque de s’entraîner dans une énième descente aux enfers. Plus rarement, l’addition des noirs crée parfois de la lumière. Cette seconde option fut celle de Simon Liberati et d’Eva Ionesco. Sexe, drogue et pop musique. Tous deux sont d’anciens oiseaux de nuit aux jeux interlopes et au mode de vie suicidaire ; lui est journaliste – il a dirigé Cosmopolitan -, et écrivain – on lui doit la biographie de Jayne Mansfield – elle est actrice, réalisatrice, et surtout connue pour avoir été le modèle de sa mère, la photographe Irina Ionesco, dès l’âge de 4 ans. Sept années durant, Eva a posé huit mois sur douze, à raison d’une séance hebdomadaire, dans des mises en scène morbides, érotiques, voire totalement pornographiques. Sa mère alla jusqu’à la prêter à d’autres photographes tels que Jacques Bourboulon. L’histoire scandaleuse de cette collaboration contre-nature est d’ailleurs le sujet du film My little princess qu’Eva a réalisé en 2011 : Irina y est magistralement interprétée par une Isabelle Huppert folle et perverse. Depuis, Eva a intenté un procès contre sa mère, qu’elle a gagné.

Simon Liberati a suivi l’affaire avec plus de soin que n’importe quel lecteur d’une rubrique de fait divers. Il se souvient avoir croisé sa « petite fée » alors qu’elle n’avait que treize ans : elle était déjà une femme. Lui avait dix-neuf ans mais n’était qu’un gamin. Cette « sirène des années 1950 » qu’on aurait dit « dessinée par un peintre de foire » lui inspirera d’ailleurs un personnage-clef de son premier roman, sous le nom de Marina. Lorsqu’ils se recroisent trente-cinq ans plus tard, chacun voit en l’autre son âme sœur. Le fuel amoureux qui les traverse leur offre une cure de jouvence : rien ne les séparera, ni les crises ni la littérature. Comment, lui, le dandy écrivain, prix de Flore 2004 pour Anthologie des apparitions, peut-il concéder d’abîmer son inspiration créatrice et d’abandonner sa liberté dans une vie maritale? En faisant de cet amour inconditionnel une œuvre. Puisque Eva est une œuvre d’art à part entière, le sujet s’imposait forcément à l’écrivain amoureux et fasciné. Dans ce livre nimbé de mystère, Simon Liberati passe au crible sa passion pour deux êtres : Eva-la femme et Eva-l’enfant. Cette dualité l’ensorcelle, tant l’une et l’autre se fondent et s’affichent alternativement comme les deux faces du gémeau, le signe astrologique d’Eva.

Eva n’est pas seulement une maîtresse, une femme de chair et de sang, aux « grosses joues rondes » et « aux bras de bouchère » ni une réalisatrice qui sait parfaitement ce qu’elle veut quand il s’agit de son prochain film, Une jeunesse dorée : elle est une apparition, un ange blond ou une diablesse qui se présente comme « corrigée » de ses anciens vices, une convertie, et surtout, une fée « surgie de l’autre monde ». Pour Simon Liberati qui, comme elle, a connu les années Palace, a fréquenté la même faune, les Paquita, Edwige Gruss, « éphémère reine des punks », Jean-Jacques Schuhl, Ingrid Caven, Yves Adrien ou Christian Louboutin, Eva incarne un fantasme absolu. Symbole d’une époque surévaluée, machine à remonter dans le temps, elle est aussi le fantasme interdit, celui de la petite fille érotisée à l’extrême, celle que l’on protège et que l’on maltraite, celle qui soigne et fait souffrir. On peut se demander si l’héroïne, déjà victime de la volonté de toute puissance et de la perversité de sa propre mère qui l’a jetée en pâture à des milliers de regards concupiscents, trouvera une forme de sérénité à se retrouver à nouveau sous les projecteurs, certes généreux et attentionnés de l’être aimé.

A décharge, dans cette (en)quête, l’auteur se dévoile autant que son sujet, constituant l’un des aspects fascinant de ce livre, voyeur et mystique, qui penche plus vers l’essai que le roman. Pourquoi tombe-t-on amoureux ? Quels sont les ingrédients physiques, imaginaires, chimiques, nécessaires à une alchimie réussie ? Au-delà du portrait d’Eva, Simon Liberati fait aussi l’éloge de l’Absolu et de la foi en l’Amour dans cette magnifique déclaration de 278 pages.

partagez cette critique
partage par email
 Les internautes l'ont lu
on n'aurait pas dû

je suis passée à côté

Presque 600 livres dans cette nouvelle rentrée littéraire…
Grace à Myboox et ses appels de la rentrée une de mes premières lectures aura été « Eva ». Je ne suis pas un fan des « biographies » de personnages célèbres mais j’ai voulu essayer quelques choses de nouveau… Après m’être forcée plusieurs soirs de suite à poursuivre ma lecture je déclare forfait. Je n’arrive pas à lire ce livre.
Je n’arrive pas à m’y retrouver dans ces phrases longues, alambiquées, que je suis obligée de relire 2 ou 3 fois pour tenter d’en comprendre le sens. (D’où la sensation de ne pas avancer sans doute !!)Des phrases courtes auraient sans doute été plus « percutantes ».
Je n’arrive pas à m’intéresser aux personnages non plus. Je les trouve pédants, capricieux et je ne ressens aucune empathie.
Mr Liberati met 100 pages à nous expliquer pourquoi il écrit ce livre… mais je n’ai toujours pas compris le but de ce livre. Tout me semble embrouillé (comme quand j’ai regardé son interview à l’émission « la grande librairie ».)
Peut-être le reprendrais-je un jour, mais je ne suis pas sure !

 

partagez cette critique
partage par email
 

Dans les années 70, Eva Ionesco était « l’objet » de sa mère Eva Ionesco photographe, son modèle dont elle a tiré le portrait et le reste huit années durant. De l’âge de quatre à douze ans, cette Lolita des seventies a dû poser pour sa mère dans des mises en scène morbides, dans des positions dénudées et pornographiques. Cette fée enfant abîmée par sa mère fascine littéralement Simon Liberati.
Il l’avait rencontré furtivement lorsqu’elle était âgée de 12 ans. Elle fut vingt-cinq ans plus tard, la « Marina » de son premier roman, « une petite fille perdue ».

Hasard ou coïncidence , trente-cinq ans après leur première rencontre, ils se croisent lors d’une soirée parisienne et se « trouvent ». Ils sont faits l’un pour l’autre, Simon en est rapidement convaincu.

Eva devient sa muse, pour elle il est prêt à quitter son premier amour, la littérature qui compte pourtant plus que tout. Comment ? En écrivant Eva, la double Eva : la femme-enfant blessée avec un destin hors du commun mais aussi Eva pleine de grâce et de pureté, son inspiration.

Il écrira son passé en se basant sur des photos, des courriers, c’est ainsi qu’il fera parler Eva. Il écrira une « élégie » l’éloge oisif de sa jeunesse en perdition, la drogue, l’alcool, la prostitution, les pensées suicidaires, un destin hors du commun.

Pour la forme et le plaisir de la lecture je suis partagée, on parle d’un incontournable de la rentrée, une chose est certaine il divise. Beaucoup d’avis sont soit dithyrambiques, remplis de louanges et d’autres sont assassins et détestent.

Pour ma part, j’avoue avoir eu du mal à lire ce court récit, je me suis accrochée, j’ai lu par moment à voix haute et mon sentiment est partagé.

Je n’ai pas aimé cet étalage de culture superfétatoire à mon goût. L’auteur aime à regarder son nombril, il est égocentrique, il ramène tout à lui avec un parisianisme un peu pédant, prétentieux. Je me suis souvent perdue dans les méandres de sa pensée, ne voyant pas toujours l’intérêt d’où il voulait m’emmener. C’était un peu trop décousu à mon goût.

Par contre certains passages m’ont happée grâce à l’écriture riche, raffinée, remplie de finesse et de subtilité.

Ma note à l’image de ma critique mi figue-mi raison 5.5/10:

Les jolies phrases

L’ancien paraissait suivre le nouveau, la ruine précéder la construction.

Eva ramène par sa seule présence tout ce qui l’entoure à la candeur audacieuse et cruelle de l’enfance, elle qui s’est vue tant de fois abusée tente aujourd’hui d’abuser à sa manière des autres.

… les fracassantes surprises que donne la vie sont précédées d’un mauvais avant-goût, d’une tension préalable. L’amour naît dans la souffrance.

Au début d’un amour on fait des choses qu’on ne refera plus.

C’était un plongeon de l’être dans l’être que seul l’art permet quand il se mêle d’épouser la vie.

Tout se passait comme si nous avions décidé de commencer par le pire afin d’éprouver la solidité de notre amour.

Tu ne m’aimes pas, tu n’as jamais aimé personne, tu m’as épousée pour écrire un livre d’amour.

La seule issue que j’ai trouvé à ce dilemme était de prendre l’objet de mon amour, Eva, et d’en faire un livre.

Le passé d’Eva l’embellit chaque fois à mes yeux. Il lui rend cette densité surhumaine qu’ont les êtres sans âge.

Tu sais, tu peux me quitter, je n’ai pas peur d’être perdue, ça m’est arrivé si souvent.

Le plaisir de l’innocence a des armes ignorées du vice.

Il y a une part de foi dans l’amour qui se prononce de manière délibérée en soi comme un voeu. Il reste secret mais aussitôt énoncé il prend une valeur d’absolu. Il ne s’agit pas de dire « je t’aime » mais d’accepter au fond de soi d’aimer l’autre, c’est à dire de ne plus différencier le sort de l’autre du sien propre.

C’est son secret, son fond mystérieux, cette part très intime d’elle-même, plus intime que l’âme selon certaines sagesses.

Souffrir, s’intéresser, s’ouvrir au monde, c’est le rôle de l’enfant qu’elle torture en la rendant sublime. Ses plus belles photos sont les pires.

Elle criait trop fort pour ma timidité à l’époque, mais ce cri resté en moi a trouvé son écho, puis, encore bien des heures plus tard, l’écho de son écho, et l’amour a pu naître, comme toujours, du souvenir.

Ce tympan qui est au fond de chaque être, et qui marque la limite à ne pas franchir dans tout voyage, celle de la douleur et de la mort volontaire.

Une vie plus qu’une carrière, comment nourrir les ambitions quand on porte l’encombrement d’avoir déjà tant vécu ?

Retrouvez Nathalie sur son blog 

partagez cette critique
partage par email