La saga d’HippocrateQuoi de plus noble que de consacrer sa vie à soigner les autres ? Chez les Kotev, on est médecin de génération en génération. Et juif aussi. Ce qui, partout dans le monde, veut dire être confronté à l’arbitraire et au rejet. Pavel Alexandrovitch, le premier de la lignée, reclus dans son pauvre village ukrainien en 1864, espère un avenir meilleur pour son fils, loin de la fureur des cosaques amateurs de pogroms. Plus tard, Mendel, réfugié en Allemagne, tente de sauver son fils Tobias des griffes nazies. Et aujourd’hui, Léna, cancérologue à Paris, lutte pour la vie de son amant Vincent. Laurent Seksik, l’auteur du très remarqué « Cas Édouard Einstein » est lui-même médecin. Il signe ici un beau roman tout en retenue et en sensibilité, une sorte d’hommage à sa profession et aux hommes et femmes qui l’exercent. Les destins des uns et des autres s’entremêlent à la façon de « La Ronde » de Schnitzler et le vent de l’Histoire souffle sur ses personnages. Faux ou bien réels ( on croise le jeune Trotski ) , ceux-ci semblent si vivants qu’on a envie de les retenir. Souffrances de l’exil et exigence humaniste forgent ici une légende familiale flamboyante portée par l’espérance.
Les internautes l'ont lu
coup de coeur
Le roman de l’héritage, de la vocation et de l’identité
Mais quel roman ! Cette traversée du siècle dernier sur les traces d’une lignée de médecins juifs est à la fois un fabuleux hommage à la vocation, un magnifique regard sur l’héritage et la transmission, un superbe rappel de la valeur de la vie. Un roman poignant, qui confronte destins individuels et Grande Histoire et nous démontre, si besoin était, qu’il suffit d’un être humain pour perpétuer l’espèce, et l’espoir. « Elle était juive par sa mère et médecin par son père ». Léna Kotev est convaincue d’être devenue médecin par une sorte d’héritage familial. Bien avant elle, il y a eu Pavel qui battait la campagne autour de Ludichev, dans une Russie en proie aux prémices de la future révolution. Un pouvoir en danger qui, pour détourner la colère de la population n’hésite pas à lui jeter les juifs en pâture, les accusant de tous les maux. Par précaution et pour ouvrir la voie, Pavel a envoyé son fils aîné, Mendel, âgé de douze ans à Berlin. Nous sommes en 1904 et pour les juifs d’Europe de l’Est, le 2ème Reich fait figure de paradis qui leur offre une liberté totale. Mendel ne reverra jamais sa famille, décimée lors d’un pogrom, à part sa jeune sœur Natalia mise à l’écart ce jour-là et qui ne connaîtra la vérité sur ses origines que bien plus tard.. Mais il accomplira le rêve de son père en devenant Professeur de médecine. Jusqu’à ce que l’arrivée d’Hitler au pouvoir l’amène à rejoindre le sud de la France avec sa femme et son fils, Tobias, le père de Lena. A présent, Léna, cancérologue réputée à Paris fait face à ses propres doutes, à sa peur d’être peut-être la dernière de la lignée. Alors que la fin de la vie de Tobias se profile, la jeune femme prend soudain conscience de l’héritage qui, plutôt que de peser sur ses épaules au risque de l’écraser pourrait représenter un formidable moteur, un compagnon pour toutes les choses qu’il lui reste à accomplir. En quelques séquences, Laurent Seksik revisite le siècle et la destinée des juifs d’Europe centrale. Boucs-émissaires préférés des Tsaristes puis des nazis (entre autres), éternels exilés, passant de l’espoir à l’inquiétude puis à la peur. Tentant de se persuader à chaque fois qu’ils sont hors de danger avant que la violence ne les rattrape. « Nous verrons bien » répond Mendel à Tobias qui lui demande, alors qu’ils s’apprêtent à quitter Berlin pour la France, si être français c’est mieux que russe ou allemand. Le lecteur, lui, connaît la réponse. Pavel a été assassiné. Mendel également, quelques années plus tard lorsque les allemands auront envahi Nice. Des hommes qui avaient dévoué leur vie à soigner celle des autres. Tobias s’en est sorti, il a dépassé la souffrance et il a perpétué la lignée des Kotev, la lignée des médecins. Un héritage qui freine Léna, qui l’enferme, elle qui ne se sent pas autorisée à souffrir compte-tenu de ce qu’ont enduré les siens. Comment apprivoiser cette mémoire ? Comment en faire un levier de vie et d’espoir ? L’auteur nous offre également une profonde réflexion sur la médecine, l’abnégation de ceux qui l’exercent, la contradiction entre la « toute puissance » que leur confère leur statut et leur impuissance face aux éléments extérieurs dévastateurs. Léna est impuissante face à la maladie qui condamne son père, malgré tout son savoir. Mais elle détient un autre pouvoir : celui de la transmission et de la mémoire. Ce roman magistral m’a émue au plus haut point et je pense qu’il m’accompagnera longtemps. Comme l’auteur le fait dire à l’un de ses personnages : « L’invention romanesque permet de raconter l’Histoire mieux qu’un traité. Si je veux le vrai, je lis le journal. Si je veux de l’intelligence, je lis de la philosophie. Mais la vérité de l’homme – qui n’a rien à voir, j’en conviens, avec la vérité des faits – est dans l’émotion. Je la trouve dans les romans ». Retrouvez Nicole G. sur son blog |
|