Fille de la campagne
Edna O'Brien

Traduit de l'anglais
par Pierre Emmanuel Dauzat
Le Livre de Poche
mars 2013
488 p.  8,10 €
 
 
 
 La rédaction l'a lu
coup de coeur

Sans la littérature,
je serai devenue folle

Il y a des livres qui resteront à jamais dans un coin de ma mémoire, quoique je lise par la suite. Plus qu’un coup de cœur, c’est un coup de foudre. C’est rare, mais c’est exactement ce que j’ai éprouvé avec les mémoires d’Edna O’Brien, « Fille de la campagne », un titre qui renvoie à son premier roman paru en 1960, « Filles de la campagne », et la fit passer directement du statut d’apprentie pharmacienne à celui de romancière à succès. Après une vie consacrée à la fiction, elle a accepté de se pencher sur son passé, d’écrire ce récit qu’elle ne voulait pas trop « autopromotionnel ». Cela fut difficile, douloureux, mais le jeu en valait la chandelle. Elle y célèbre la littérature et l’amour, l’Irlande et la vie tout simplement.

Et, à la chance de la lire, s’ajoute celle d’avoir pu la rencontrer, chez elle, à Londres.
Edna O’Brien est une charmante lady, mais pas une « old lady », malgré ses 83 ans. Elle est vive, coquette, on sent la femme qui a aimé et aime toujours séduire. Elle n’a pas renoncé, preuve en sont les pages sur sa brève rencontre avec Jude Law : si elle avait eu quelques décennies de moins, elle n’en aurait fait qu’une bouchée! Son repère se situe à deux pas de chez Harrods. Un appartement regorgeant de livres. Une grotte d’écrivain. Longtemps, elle a reculé devant l’obstacle autobiographique. Sa jeunesse, elle l’avait racontée, mais déguisée en romans. Plusieurs d’entre eux firent scandale en Irlande, et plus particulièrement dans le petit village de son enfance, où les prêtres n’hésitèrent pas à les brûler. Rien, jamais, n’empêcha Edna d’écrire: ni les feux irlandais, ni l’indifférence de ses parents qui l’aimaient à leur façon mais ne l’ont jamais lue, pas plus que le combat pour garder ses enfants lorsqu’elle décida de divorcer de son mari écrivain, Ernest Gebler. Celui-ci ne supporta pas que ce soit elle qui sorte de l’ombre, et pas lui. Rien non plus ne parvint à la distraire : ni l’existence mondaine qu’elle mena un temps et la poussa à recevoir chez elle le tout-Londres, le tout-Hollywood et même le tout-Paris, ni les amours parfois tumultueuses, ou les problèmes d’argent récurrents. Ce qui est formidable dans ces souvenirs, c’est qu’il n’y a pas un chapitre sur l’écriture, un autre sur l’amour, un troisième sur les dettes. Non, tout est mêlé, entremêlé même. Mais ce qui ressort de cette épopée, c’est que la grande affaire de sa vie fut et reste la littérature: « sans elle, je serais devenue folle. Ceux qui n’ont jamais connu la richesse des livres ont vraiment manqué quelque chose et je ne peux pas imaginer quelle aurait été ma vie sans eux… »

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