Il y a plus de dix ans, Geneviève Brisac publiait « La marche du cavalier », un livre dédié à l’écriture de onze femmes, et un chapitre était consacré à Alice Munro.
« Alice Munro, écrivait-elle, sait beaucoup de choses sur la magie de la création littéraire. Elle le fait sentir en quelques mots. Elle ne la met pas non plus en avant, convaincue que la tâche de l’écrivain est d’être fidèle à l’histoire. Elle s’efface, elle constate les méfaits du temps, de la bêtise et de la lâcheté. Ses personnages sont des bouchons de liège sur les vagues… »
Je me précipitai en librairie et achetai « La danse des ombres heureuses ». Quoi de plus exaltant que de découvrir un écrivain, de plonger dans un univers, d’avoir envie de lire toute l’œuvre ?
À l’époque, il n’était pas aisé de trouver les livres d’Alice Munro. Il fallait de la persévérance. « Fugitives » est le livre que j’ai le plus offert, à des gens qui ne la connaissaient pas et qui se méfiaient d’un auteur de nouvelles, parce que la nouvelle… Ces destins dont la vie bascule sur un détail, pour une broutille, ces femmes qui prennent la fuite, me bouleversaient, et j’avais envie de partager ce bouleversement. Est-ce un livre sur la perte des illusions, le renoncement ? Ou au contraire, est-ce un livre sur le possible, l’espoir de renaissance ? Je ne sais toujours pas, mais j’aime cette mise en abîme. Il neige souvent dans les histoires d’Alice Munro, et dans l’immensité de ses paysages, les traces de ses personnages sont indélébiles et profondes.
« Une chose étrange et terrible devenait claire pour elle: dans ce monde à venir, tel qu’elle se le représentait à présent, elle n’existerait pas. Elle le parcourrait seulement, ouvrirait la bouche pour parler, ferait ci ou ça. Elle ne serait pas vraiment là. »
J’ai été émue en apprenant le nom du Prix Nobel de littérature 2013, parce que, de plus en plus, on lira Alice Munro.