En italique, les premières pages semblent sortir d’un cauchemar ; un être humain est enterré comme une bête dans un trou creusé dans un champ à la tombée du jour «Sans jamais lever la tête, juste en regardant à travers l’herbe, on les a vus tirer un corps d’une brouette et le balancer dans une fosse qui attendait déjà. Un pied dépassait du bord et tremblait, comme s’il pouvait sortir, comme si, en faisant un petit effort, il pouvait surgir de la terre qui se déversait.». Pourquoi ces pages ? Est-ce pour corroborer la mise en asile psychiatrique de Franck victime d’hallucinations ? Il me faudra attendre la fin du live que je saurai. Ces premières pages me feront appréhender d’une façon un peu différente le livre de Toni Morrison.
Balade et ballade américaines dans les années 1950. Balade qui n’a rien de romantique. Les nègres ont été « considérés » tant qu’ils servaient de chair à canons aux avant-postes. Ils sont peu nombreux à rentrer au pays, à avoir sauvé leur peau. Franck porte en lui ce sentiment de culpabilité qui fait qu’il n’ose retourner dans son village ; ses deux meilleurs potes sont restés en Corée, morts pour la patrie. Que lui réserve-t-on ? Une chambre en hôpital psychiatrique, assommé par les neuroleptiques. Quand il reçoit ce message, « Venez vite. Elle mourra si vous tardez » il décide de se sauver. Il tambourinera à la porte du presbytère de l’église épiscopale méthodiste africaine de Sion. A partir de ce moment, une chaîne humaine se met en branle qui lui permettra d’arriver jusqu’à sa petite sœur Cee. Les démons, les cauchemars sont là qui le hantent, annihilés par les bouteilles de whisky. Il trouvera la force d’aller au secours de sa sœur et trouver sa rédemption.
Nous découvrons la vie dure d’esclave des parents de Franck et Cee qui font qu’ils ne peuvent ou ne savent donner l’amour tant ils sont crevés. La grand-marâtre et sa haine les élève. Pauvre gamins, ils ont connu la haine bien jeune. Heureusement les deux enfants sont soudés et se soutiennent mutuellement.
Il y a des moments très durs dans ce livre « Mais avant cela, avant la mort de ses gars, il avait été témoin de l’autre. Celle de l’enfant venue fouiller dans les ordures, agrippant une orange, qui avait souri, puis dit « miam-miam » avant que le soldat ne lui fasse sauter la cervelle ». Plus tard, Franck nous éclairera et c’est encore plus douloureux.
Pas beaucoup de bonheur à quoi se raccrocher. Il y a les femmes, Franck en parle avec tant de douceur «… je n’ai eu que deux régulières. J’aimais bien la petite chose fragile à l’intérieur de chacune d’elles. » Ou « Elle avait quelque chose qui m’a stupéfait, qui m’a donné envie d’être assez bien pour elle »
La trame est simple, mais la vie des noirs dans les années 50-60 ne l’était pas. Ce bouquin est d’une grand densité, pas de remplissage inutile, elle va droit au but. Pas de grandes descriptions, et pourtant tout est dit. La restitution du sud des USA de cette époque est là devant nos yeux. Les humiliations, la peur, la haine raciale, oui, tout est là.
C’est le premier Toni Morrison que je lis, grâce aux avis de mes copinautes. C’est un vrai coup de cœur. Je pense que je vais remonter le courant de ses livres et découvrir ces ouvrages précédents.
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