La France, comme ministre de l’Agriculture, Bruno Le Maire l’a parcourue dans tous les sens et on sent, à la lecture de son journal tenu du 14 novembre 2010 au 11 mai 2012, qu’il y a pris du plaisir. A l’évidence il aime les paysans et les pêcheurs. Il ne vient pas de leur monde –né à Neuilly, élève de Normal sup et de l’ENA- mais l’estime qu’il leur porte sonne juste et il tire ses plus grandes fiertés quand il réussit à défendre leurs intérêts, à sauver des quotas de soles ou de turbots, à soutenir le cours des denrées alimentaires. D’un coup la politique prend tout son sens, justifie le pouvoir. C’est le plus intéressant du livre : comment agir en politique malgré les contraintes, celles de l’opinion et celles qui viennent de l’étranger. On suit le ministre à Bruxelles et autour de la planète préparant un G 20 agricole. On supporte le poids des contraintes institutionnelles, on mesure les rapports de force. C’est vivant et honnête et pour tout dire assez passionnant.
Et puis il y a la politique. Alors, le propos devient plus convenu. Bruno le Maire a pris un parti et il s’y tient : il ne dit du mal de personne et il se refuse à toute analyse de la situation. C’est reposant, mais dommage. Sur l’avenir de l’Europe, sur la crise de l’Euro, sur le printemps arabe, rien ou presque. Il en parle, raconte ce qu’il a vu, mais ne livre aucune analyse. Pas de règlement de compte, pas d’épanchement inutile non plus. Le président lui annonce qu’il sera nommé aux Finances. Il se fait doubler par Baroin. Que ressent-il ? Que pense-t-il de son rival et de ses méthodes ? Nous ne le saurons pas. Pudeur ou prudence ? Sans doute les deux.
Vient ensuite le récit de la campagne. Le Maire est chargé du projet, ce qui n’est pas rien. Il reconnaît que toutes les idées novatrices qu’il essaie d’apporter sont enterrées au fil des jours et des discours d’une campagne qui se droitise toujours plus. Qu’en pense-t-il ? Une fois encore, on ne le saura pas.
Et puis il y a Nicolas Sarkozy. Le Maire, le regarde agir, gouverner. Il est fasciné par l’énergie et l’autorité naturelle du président. Il rapporte de nombreux échanges. On entend Sarkozy et, même si l’on a en mémoire cette façon qu’il avait de s’exprimer, on est surpris par un égocentrisme hallucinant. Le je est omniprésent. On retrouve un homme qui aime débattre, convaincre, qui aime le peuple et les Français, mais qui curieusement parle peu de la France. La culture, les paysages, la nation, sont sans doute trop désincarnés pour lui. Et que dire de la langue ? Jamais un Président n’a si mal traité le français. La syntaxe n’existe pas, le vocabulaire est court, la répétition un tic de langage. De cela Le Maire ne dit rien et c’est le pire. Il nous donne son récit, et le contraste est saisissant. Lui manie la langue avec une grande précision, une belle maîtrise et un plaisir évident. On sent une exigence à laquelle il ne déroge jamais.
A la fin du livre on se demande ce qui importe le plus à l’auteur : l’écriture ou la politique ? A l’évidence les deux le portent. Le pouvoir, il l’exerce. L’écriture, c’est une autre affaire. Au détour d’une citation de Borgès, il note le 5 juin 2011, et c’est surprenant dans ce livre si pudique « Si je ne suis pas un vrai poète ou un vrai écrivain, pourquoi poursuivre? » Alors littérature, pouvoir ou les deux ? Le 24 janvier 2012 il écrit « Il faut apprendre à vivre aussi incertain que la vie.»