Ah les Carpates ! Rien de plus évocateur à mes yeux… Des mystères, des légendes qui ont la vie dure… Et, en ce qui me concerne, le terreau lointain de mes origines… Alors qu’un jeune auteur en fasse le sujet de son premier roman, qui plus est accompagné d’un halo de critiques bienveillantes ne pouvait que piquer ma curiosité.
Autant le dire tout de suite, des romans comme celui-ci, de nos jours, on n’en écrit plus beaucoup. Des histoires où l’honneur prédomine au point que l’on se bat pour laver celui de sa promise ou que l’on pourrait tout sacrifier en son nom. Mathias Menegoz a trempé sa plume dans le romanesque et apparemment bien assimilé ses lectures d’Alexandre Dumas. Mais ce que l’on a sous les yeux est bien un ouvrage du XXIème siècle, empreint d’une vraie modernité dans la façon de toujours aborder l’histoire par le prisme des individus, sans jugement intempestif, sans le spectre de l’affrontement entre le bien et le mal. Dans une interview, l’auteur raconte que ce livre est le fruit de quinze ans de recherches notamment pour reconstituer le contexte historique de cette région de tous temps et encore aujourd’hui, extrêmement complexe à appréhender. Cela explique certainement sa réussite à nous transporter dans le temps et l’espace.
L’action se déroule en 1833, au sein de ce qui est alors l’empire austro-hongrois. Le capitaine hongrois, Alexander Korvanyi décide de quitter l’armée pour les beaux yeux de Charlotte-Amélie (dite Cara) von Amprecht, une jeune et belle noble autrichienne peu désireuse de s’engager dans une vie de femme d’officier. Alexander envisage de rejoindre le domaine de ses ancêtres, dont il est le seul héritier afin de le réinvestir et d’y ancrer à nouveau sa famille. Situé au cœur de la Transylvanie, le domaine a été laissé aux bons soins d’un intendant et déserté par la famille depuis la révolte violente des paysans valaques cinquante ans auparavant. Alexander compte bien y rétablir son influence et retrouver la magnificence d’antan. Mais en Transylvanie, on est bien loin de la vie policée de Vienne ou même de Pest. Une mosaïque complexe oblige des peuples Magyars, Saxons et Valaques à cohabiter dans la méfiance et la peur, sans compter les Tziganes. La langue elle-même est une barrière, on en change comme de village, passant du hongrois à l’allemand ou au roumain sans forcément connaître les trois. Un système féodal persiste, digne du Moyen Age en France, un système où les nobles seigneurs exercent leur autorité sur leurs serfs pétris de rêves de vengeance et de liberté.
C’est dans ce contexte que débarque le jeune couple avec ses idées bien arrêtées, sûr de son bon droit et bien décidé à reprendre le domaine en mains. Il se heurte bien vite à la réalité du terrain et aux difficultés de communication, accentuées par les vieilles haines et par la persistance de légendes savamment entretenues par ceux qui espèrent un jour tirer parti du chaos. Autour du domaine, des enfants disparaissent, des agressions sont commises… Il n’en faut pas plus pour que le comte Korvanyi soit soupçonné d’être un vampire. Les passions se déchaînent, Alexander et Cara sont entraînés dans un tourbillon de haine et de sauvagerie avec lesquels il leur faudra composer et qui agira sur eux comme un terrible révélateur des âmes et des caractères.
Certes, l’auteur aurait pu faire un peu plus court, certains passages trainent en longueur, on reproche ici et là quelques redites ou répétitions. Mais le résultat d’ensemble est suffisamment intriguant et ébouriffant pour qu’on le qualifie de réussite. Au-delà du romanesque, le livre donne également à voir les racines de la situation géopolitique d’une région assez méconnue, toujours objet d’enjeux territoriaux entre la Roumanie et la Hongrie. Personnellement, j’ai beaucoup apprécié le traitement des personnages, toujours ramenés, quelles que soient leurs origines à leur statut d’individus avec leurs doutes et leurs contradictions. Une lecture aussi instructive que distrayante !