Déjà un autre Indridason. Huit mois après « Dans l’ombre », premier volet de sa nouvelle trilogie, voici qu’arrive la suite, « La femme de l’ombre », en attendant le dernier, « Passage des ombres », programmé pour le printemps prochain. Ces sorties rapprochées, voulues par l’auteur, soulignent l’entité à part que cette mini-série compose dans son oeuvre. Le cadre et les personnages s’y prêtent. Arnaldur Indridason y traite d’une période de transformation accélérée de son pays, au début des années 40, lorsque l’Islande bascule de l’influence des Britanniques à celle des Américains. Pas le genre de thème que l’on peut étirer. Il se repose aussi sur un duo d’enquêteurs voulu un peu tendre. Autant les sombres humeurs de l’inspecteur Erlendur se prêtaient à de longues introspections, autant celles de Flovent le policier et Thorson le militaire se fondent vite dans le décor, sans mériter qu’on s’y attarde trop. Ces deux trentenaires impatients, donc faillibles et attachants, ont conquis les lecteurs français dès leur apparition (60.000 exemplaires vendus selon l’éditeur). Ils nous reviennent deux ans plus vieux, guère plus expérimentés mais un peu plus proches encore. Liés par un même attachement à leur île, même si l’un n’a jamais quitté Reykjavik, et que l’autre revient du Canada où ses parents ont émigré. Liés peut-être aussi par une fêlure bien enfouie, Flovent incapable de couper le cordon avec un père dépendant, Thorson s’interrogeant sur sa propre identité sexuelle. Il leur tombe à chacun un cadavre sur les bras.
Un beau portrait tragique
Au flic islandais, un corps non identifié rejeté par la mer. Au policier militaire, un jeune homme massacré près d’une gargote à soldats. Le romancier brouille les pistes en développant une intrigue parallèle, la quête d’une jeune femme, Karolina, dont le fiancé a été dénoncé aux nazis. Les différentes énigmes vont-elles se recouper ? Si oui, quand et comment ? Les indices sont maigres et la chronologie dans le flou. Alors évidemment, on mord. Le passionné d’Histoire qu’est Indridason soigne le fond en montrant à quel point la guerre pèse sur les conditions de vie, les mentalités, les aspirations. Il y apporte de la lumière avec l’intégrité de ses deux héros, l’idéalisme de certains personnages secondaires, jeunes Islandais entrés en résistance, et surtout le questionnement de Karolina, la « femme de l’ombre », qui combat son chagrin autant que ses remords. Avec une économie de mots et d’effets qui confine au classicisme, il signe, au-delà du polar, un beau portrait tragique.